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Page:Bulwer-Lytton - Alice ou les mystères.pdf/356

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dont votre visage est maintenant environné ! Nous nous revîmes, et le charme qui m’avait attiré vers vous bien des années auparavant se renouvela soudain. Je vous aime Éveline ! Je vous aime mieux que toutes les paroles possibles ne sauraient vous le dire ! Votre sort futur, votre bien-être, votre bonheur contiennent et résument toutes les espérances qui me restent au monde. Mais nos âges sont bien différents, Éveline ; j’ai connu de profondes douleurs ; les mécomptes et l’expérience qui m’ont séparé du monde m’ont dérobé plus que le temps lui-même ne m’avait pris. Il m’ont enlevé le pouvoir de jouir des plaisirs ordinaires de notre espèce ; oh ! ma douce Éveline, puissiez-vous longtemps conserver cette faculté ! Pour moi l’époque prédite par l’apôtre est déjà arrivée : celle où le soleil et la lune sont obscurcis, et où je ne trouve plus de plaisir en rien, hormis en vous et par vous. Jugez vous-même si vous pouvez aimer un être pareil. Jugez si cet aveu ne vous répugne pas, ne vous glace pas ; s’il ne vous présente pas un avenir sombre et triste, dans le cas où il vous serait possible d’unir votre destinée à la mienne. Répondez-moi, non par amitié ou par pitié, l’amour que je ressens pour vous ne peut avoir de réponse que de l’amour seul, ou de cette raison que l’amour, dans sa puissance éternelle, dans sa saine confiance, dans sa prophétique prévoyance, peut seul donner. Je puis renoncer à vous sans murmure ; mais je ne pourrais vivre avec vous, et m’imaginer que vous auriez un souci que je ne pusse adoucir, que vous pourriez avoir un bonheur dont je n’eusse pas ma part ! Le destin ne me présente pas une image plus sombre et plus terrible, non, pas même celle de votre mort, pas même celle de votre indifférence, pas même celle de votre aversion, que votre désillusion, quand le temps aurait rendu vos regrets inutiles et que vous viendriez à découvrir que vous avez pris une fantaisie ou une amitié pour une affection, un sentiment pour l’amour. Éveline, je vous ai tout confié, je vous ai ouvert ce cœur insensé qui vous appartient. maintenant et à jamais. Mon destin est entre vos mains. »

Éveline se taisait ; il lui prit la main et il y sentit tomber des larmes qui coulaient rapides et brûlantes. Effrayé, inquiet, il l’attira vers lui, et la regarda.

« Vous craignez de me blesser, dit-il d’une voix tremblante, et les lèvres pâles. Parlez ! je saurai tout entendre !

— Non ! non ! dit Éveline d’un accent altéré ; je ne crains rien que de n’être pas digne de vous !