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Page:Bulwer-Lytton - Alice ou les mystères.pdf/390

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isolée, condamnée à ne confier ses pensées à personne, à ne point chercher de sympathie, même auprès de sa mère, la pauvre fille s’efforçait en vain de se tenir à la hauteur de son premier enthousiasme, et de se résigner à un acte que pourtant elle était assez héroïque pour ne vouloir ni rétracter, ni regretter, bien qu’elle ne pût y songer sans frémir.

Lady Doltimore, étonnée de ce qui s’était passé, étonnée de la fuite de Maltravers, du succès de Lumley, ne pouvant s’en rendre compte, ni tirer aucune explication de Vargrave ou d’Éveline, était agitée par la crainte de quelque infâme machination qu’elle ne pouvait pénétrer. Pour échapper aux inquiétudes qui l’obsédaient, elle se plongea, avec plus d’avidité que jamais, dans le tourbillon des plaisirs. Vargrave, plein de défiance, et redoutant ce qu’elle pourrait dire, dans l’état de surexcitation nerveuse où elle se trouvait, si elle était soustraite à ses regards vigilants, se crut obligé de la suivre partout. Ses manières et sa conduite étaient pleines de circonspection ; mais Caroline, jalouse, irritée, fantasque, manifestait par moments le droit de familiarité et de colère, et par là elle attira sur elle et sur lui l’espionnage de la médisance. Pendant ce temps, lord Doltimore, quoique trop froid et trop orgueilleux pour s’occuper ouvertement de ce qui se passait autour de lui, paraissait inquiet et troublé. Ses manières vis-à-vis de Vargrave étaient froides ; il évitait de se trouver en tête-à-tête avec sa femme. Cependant Lumley ne s’en occupait guère ; quelques semaines encore, et tout serait sauvé. Vargrave ne donnait point de publicité à son prochain mariage ; il cherchait à le cacher, jusqu’à la veille même du jour où il devait se consommer. Mais on en parla tout bas dans le monde : les uns pour en rire ; d’autres sérieusement. Quant à Éveline, on ne la voyait nulle part. Montaigne avait d’abord opposé une incrédule indignation à la nouvelle que Maltravers avait renoncé à une alliance qu’il avait tant souhaitée, et qu’il y avait renoncé par un motif aussi puéril, aussi indigne de lui que l’orgueil de la naissance. Une lettre de Maltravers, qui ne confia qu’à lui et à Vargrave le secret de sa retraite, le convainquit à regret que les plus sages ne sont que des sots bouffis d’orgueil ! Il fut courroucé, indigné, surtout quand Valérie et Teresa (car les femmes défendent leurs amis à tort ou à raison) cherchèrent des excuses, ou insinuèrent que d’autres causes se cachaient peut-être derrière celle qu’on alléguait. Mais les pensées de Montaigne furent considérablement distraites de