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Page:Bulwer-Lytton - Alice ou les mystères.pdf/398

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avait éprouvé, dans sa jeunesse, la douleur trop commune d’une affection déçue. Éléonore Westbrook, jeune fille d’un rang aussi obscur que lui, avait gagné, et semblait lui rendre, son amour ; mais elle était indigne de cet amour. Vaine, superficielle et ambitieuse, elle délaissa le pauvre étudiant pour un parti plus brillant. Elle accepta la main d’un négociant qui fut séduit par sa beauté, et qui avait une réputation de grande fortune. Ils se fixèrent à Londres, où Aubrey perdit toute trace d’Éléonore. Elle donna naissance à une fille unique ; et lorsque cette enfant eut atteint sa quatorzième année, son mari, tout à coup, et sans cause apparente, mit fin à son existence. La cause néanmoins en devint manifeste avant même qu’il fût enseveli. Il avait des dettes qui dépassaient de beaucoup le chiffre de sa fortune ; il s’était tué pour échapper à la banqueroute et à la prison. Une petite pension viagère, qui ne s’élevait pas à plus de cent livres[1] avait été assurée à sa veuve. Elle se retira avec son enfant à la campagne, pour y vivre de ce maigre revenu ; le hasard, le voisinage de quelques parents éloignés, et le bon marché, concoururent à fixer sa demeure dans les faubourgs de la ville de C***. Souvent les âmes qui, dans la jeunesse, ont été les plus superficielles et les plus frivoles, quand elles sont accablées par l’adversité, contre laquelle elles sont si peu en état de lutter, tombent dans une dévotion exagérée : Il leur faut toujours un stimulant, et quand la terre le leur refuse, elles se tournent avec impatience vers le ciel pour se le procurer.

Ce fut l’histoire de mistress Westbrook ; et cette nouvelle disposition de son esprit la mit naturellement en rapport avec le puritain le plus en renom du voisinage, M. Richard Templeton. Nous avons vu que ce dernier n’était pas heureux dans son premier mariage ; à cette époque la mort n’avait pas encore annulé ce lien. Il était d’un tempérament ardent et sensuel, et silencieusement abrité sous le large manteau de ses doctrines, il ne se gênait pas pour satisfaire ses goûts. Peut-être, sous ce rapport, n’était-il pas plus mauvais que neuf hommes sur dix. Mais il affichait d’être meilleur que neuf cent mille neuf cent quatre-vingt-dix-neuf hommes sur un million. À un tempérament exigeant il ajoutait donc l’hypocrisie, et c’est comme cela qu’un défaut trop commun devint chez lui un vice dangereux. Il jeta sur Marie Westbrook,

  1. 2,500 francs