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Page:Bulwer-Lytton - Alice ou les mystères.pdf/410

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l’autre s’accordaient à penser que ce Butler, errant et inconnu, qui possédait dans l’art musical un talent auquel n’atteignent guère que les artistes, devait être d’un rang médiocre, ou même obscur. Ah ! si maintenant qu’elle était libre et riche, elle pouvait se rencontrer avec lui, si son amour à lui ne s’était pas évanoui, s’il voulait bien croire à la fidélité étrange et constante de son Alice, toute l’infidélité de cet amant tant regretté serait pardonnée, oubliée, au milieu des bienfaits dont elle pourrait le combler ! Et comment, pauvre Alice, dans ce village isolé, le hasard le mettrait-il jamais sur votre chemin ? Elle n’en savait rien ; mais une voix lui disait souvent tout bas : « Tu reverras encore ses yeux ; tu entendras encore sa voix ; et tu lui diras, en pleurant sur son sein, combien tu as aimé son enfant ! » Et lui, ne l’aurait-il pas oubliée peut-être ? n’aurait-il pas formé de nouveaux liens ? distinguerait-il sur ce pâle et pensif visage l’immuable beauté d’une affection éternelle ? Hélas ! quand on aime bien, il est difficile de s’imaginer qu’on n’est pas payé de retour !

Le lecteur connaît les aventures de mistress Elton, seule confidente du mariage secret de Templeton avec la mère d’Éveline. Par une singulière fatalité, ce fut l’insouciance égoïste et caractéristique de lord Vargrave qui, en fixant la demeure de cette femme à Burleigh, prépara les voies à la découverte de l’infâme imposture qu’il avait ourdie. Dès son retour en Angleterre, mistress Elton s’était enquise de M. Templeton, elle avait appris qu’il s’était remarié, qu’il avait été élevé à la pairie, sous le titre de lord Vargrave, et qu’il était mort. Elle n’avait pas de droits sur sa veuve ou sa famille, mais elle pensa que la malheureuse enfant qui aurait dû hériter de tous ses biens, était morte.

La première fois qu’elle vit Éveline, elle fut stupéfaite par sa ressemblance avec son infortunée mère. Mais le nom inconnu de Cameron, l’assurance que lui donna Maltravers que la mère d’Éveline vivait encore, dissipèrent ses soupçons ; et, quoique par moments cette ressemblance lui revînt à l’esprit, elle cessa de s’en préoccuper. Le fait est que ses infirmités s’accroissaient, et que la souffrance physique finit par absorber toutes ses pensées.

Or il arriva que la nouvelle du prochain mariage de Maltravers avec miss Cameron ne se répandit dans le comté que peu de temps avant le retour d’Ernest : car les nouvelles du continent sont lentes à parvenir jusqu’au fond de nos pro-