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Page:Bulwer-Lytton - Alice ou les mystères.pdf/413

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Maltravers se leva, et ils se trouvèrent l’un devant l’autre, face à face. Comme Alice était encore jolie ! plus jolie même, pensait-il, que naguère ! Ces yeux de tourterelle, si divinement bleus, si doux, et pourtant qui laissaient apercevoir dans leur transparente profondeur quelque mystère impénétrable de l’âme, se trouvaient une fois encore fixés sur les siens. Alice semblait changée en pierre ; elle ne bougeait pas, elle ne parlait pas, elle respirait à peine ; son regard était fasciné, comme sous l’empire d’un charme magique, et comme si la raison, la vie même, l’eussent abandonnée !

« Alice ! murmura Maltravers, Alice, nous nous revoyons enfin ! »

Sa voix rendit sur-le-champ à Alice la mémoire, le sentiment, la jeunesse ! Elle jeta un cri de joie indicible, immense ! Elle s’élança vers lui : sa réserve, ses craintes, le temps, le changement, tout fut oublié ! Elle se jeta dans ses bras, elle le serra à plusieurs reprises contre son cœur ! Le chien fidèle qui a retrouvé son maître n’exprime pas sa joie par des transports plus violents, plus insensés. L’excès de son ravissement avait quelque chose d’effrayant. Elle couvrait de baisers les mains, les vêtements de Maltravers ; elle riait, elle pleurait ; et enfin, quand les paroles lui vinrent, elle posa la tête sur son sein, et lui dit avec passion :

« Je t’ai été fidèle ! je t’ai été fidèle !… sans cela voilà un moment qui m’aurait tuée ! »

Puis, effrayée par le silence de Maltravers, elle leva les yeux sur son visage, et sentant ses larmes brûlantes tomber sur ses joues, elle lui dit encore avec une véhémence plus grande :

« Je vous ai été fidèle !… Ne me croyez-vous pas ?

— Je vous crois !… je vous crois, noble et incomparable Alice ! Oh ! pourquoi vous ai-je perdue pendant si longtemps ? Pourquoi votre amour fait-il maintenant honte au mien ? »

À ces mots, Alice parut sortir de son premier état d’oubli de tout ce qui s’était passé depuis leur séparation ; elle rougit beaucoup, et se retira doucement et toute confuse de son étreinte.

« Ah ! dit-elle d’un accent altéré et plus humble, vous avez aimé une autre femme ! Peut-être ne vous reste-t-il plus d’amour pour moi ! En est-il ainsi ? dites-le-moi ! Non, non ; ces yeux… ah ! vous m’aimez… vous m’aimez toujours ! »

Et elle se suspendit encore à lui, comme si pour elle la foi était le ciel, et que le doute fût la mort. Puis, après un