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Page:Bulwer-Lytton - Alice ou les mystères.pdf/53

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mes vœux. Combien mon avenir est brillant avec vous ! Qu’il est sombre sans vous ! Ah ! Éveline, que cette main m’appartienne : le cœur suivra de lui-même ! »

Les paroles de Vargrave étaient adroites et éloquentes ; ses discours étaient de nature à gagner sa cause ; mais ses manières, son accent, manquaient de conviction, de vérité. C’était là son défaut : le défaut qui caractérisait toutes ses tentatives pour séduire ou entraîner les autres, dans la vie publique comme dans la vie privée. Il n’y avait point de cœur, point de vraie passion dans ce qu’il entreprenait. Il savait convaincre les autres de son habileté ; mais cette conviction restait imparfaite parce qu’il ne pouvait les convaincre de sa bonne foi. Il lui manquait la qualité essentielle de la puissance de l’âme : la sincérité ; le cœur manquait à lord Vargrave pour être véritablement un grand homme. Néanmoins Éveline fut touchée de ses paroles. Elle lui abandonna passivement la main dont il s’était ressaisi, et lui dit d’une voix timide :

« Pourquoi, avec des sentiments si généreux et si confiants, pourquoi m’aimez-vous, moi qui ne puis vous rendre dignement votre affection ? Non, lord Vargrave ; il y a beaucoup de femmes qui doivent vous voir avec des yeux plus éclairés que les miens, beaucoup de femmes plus belles et même plus riches que moi. Vraiment, ah ! vraiment, cela ne se peut pas. N’en soyez pas offensé, mais songez que cette fortune m’a été laissée à une condition que je ne puis pas, que je ne dois pas remplir. Si je manque à cette condition, en toute équité, en tout honneur, la fortune doit vous revenir.

— Ne parlez pas ainsi, je vous en conjure, Éveline ; ne m’attribuez pas les calculs mercenaires que mes ennemis me prêtent. Mais pour éloigner à tout jamais de votre esprit la possibilité d’un pareil compromis entre votre honneur et votre répugnance (répugnance ! Ai-je vécu assez longtemps pour proférer un semblable mot !), sachez que vous ne pouvez disposer de votre fortune. À part la somme minime que vous perdrez en n’accédant pas à la dernière prière de mon oncle, toute cette fortune est placée sur votre tête, et sur celles de vos enfants ; ce sont des biens héréditaires, inaliénables. Par conséquent il ne vous sera jamais possible de déployer votre générosité qu’à l’égard de l’homme auquel vous accorderez votre main. Ah ! permettez que je vous rappelle cette scène déchirante. Votre bienfaiteur étendu