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Page:Bulwer-Lytton - Alice ou les mystères.pdf/82

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maître comme un spectacle curieux ? je vous en fais mon compliment, monsieur.

— Si monsieur demeurait davantage parmi ses gens, il y aurait plus de discipline, dit bravement l’intendant ; mais depuis que je suis ici, je n’ai jamais vu personne qui se souciât moins de cette vieille maison que ceux auxquels elle appartient.

— Pas tant de paroles, monsieur, dit Maltravers avec hauteur ; et maintenant allez dire à ces gens que je suis de retour, et que je ne veux avoir d’autres hôtes ici que ceux que j’y inviterai moi-même.

— Monsieur !

— Ne m’entendez-vous pas ? Dites-leur, s’ils y tiennent, que ces vieilles ruines sont à moi, et que je ne veux pas les exploiter en les livrant à l’insolence de la curiosité publique. Allez, monsieur.

— Mais… je vous demande pardon, monsieur… mais… si ce sont des personnes du grand monde ?…

— Du grand monde !… Du grand monde !… Oui, c’est bien cela ! Eh bien, si ce sont des personnes du grand monde, elles ont de grandes maisons qui leur appartiennent, M. Justis. »

L’intendant le regarda avec stupéfaction.

« Peut-être, monsieur, est-ce la famille de M. Merton, insinua-t-il d’un ton d’intercession, on vient souvent de chez M. Merton, quand il y a des messieurs de Londres au presbytère.

— Merton ?… Ah ! ce prêtre rampant. Écoutez-moi, monsieur : un mot de plus, et vous quittez mon service. »

M. Justis leva les yeux et les mains au ciel ; mais il y avait quelque chose, dans la voix et le regard de son maître, qui interdisait toute réplique. Il s’acheminait lentement vers la porte, lorsqu’une voix d’une suavité angélique s’éleva du dehors ; cette voix arrêta ses pas, et fit tressaillir l’austère Maltravers. Il leva la main pour arrêter l’intendant au milieu de sa mission, et, fasciné, charmé, il prêta l’oreille. Il reconnut des paroles qu’il avait composées : paroles qui, depuis longtemps, lui étaient devenues presque étrangères, et que d’abord il se rappelait à peine : paroles associées à ses années jeunes et virginales, de poésie et d’aspirations : paroles semblables aux fantômes de pensées trop douces désormais pour son âme si changée. Il courba la tête, et l’ombre qui obscurcissait son front se dissipa.