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propre à stimuler une habile et honnête ambition. Peut-être me direz-vous que vous n’êtes pas ambitieux en ce moment ; c’est possible : mais vous le deviendrez. Croyez-moi, il n’est pas d’être plus malheureux qu’un homme ambitieux sur le retour, qui a le désappointement de sentir qu’il a soif de la gloire, mais qu’il a perdu le pouvoir de l’obtenir ; qui brûle d’atteindre le but, mais qui ne veut ni ne peut quitter ses pantoufles pour s’y acheminer. Ce que je crains le plus pour vous, c’est l’un ou l’autre des deux maux que voici : un mariage contracté trop jeune, ou une liaison fatale avec quelque femme mariée. Le premier est certainement le moindre, mais ce n’en serait pas moins un très-grand mal pour vous. Avec votre sensibilité poétique, avec vos inquiètes aspirations vers l’idéal, le bonheur domestique vous paraîtrait bientôt fade et monotone. Il vous faudrait de nouveaux stimulants, et vous deviendriez un homme mécontent et désenchanté. Il est nécessaire que vous jetiez ce premier feu qui est comme la fièvre de la jeunesse, avant de vous engager dans des liens éternels. Vous ne savez pas encore vous-même ce que vous voulez. Ce serait un caprice chimérique, ou une impulsion momentanée, qui vous guiderait dans le choix d’une compagne ; et non pas cette profonde et intime connaissance des qualités les plus propres à s’harmoniser avec votre caractère. Pour vivre heureux ensemble, il faut que les gens puissent, en quelque sorte, s’adapter les uns aux autres ; que l’orgueil soit accouplé à l’humilité, l’impatience à la douceur, et ainsi de suite. Non, mon cher Maltravers, ne pensez pas encore au mariage ; et si vous en courez aucunement le risque, venez vers moi sur-le-champ. Mais si je vous mets en garde contre une union légitime, combien ne le ferai-je pas davantage contre un lien illicite ? Vous êtes précisément à l’âge, et vous avez un caractère qui doivent donner prise à cette tentation violente et mortelle. Chez vous ce ne serait pas une faute d’un moment, ce serait l’esclavage de toute la vie. Je connais et votre honneur chevaleresque, et la tendresse de votre cœur ; je sais combien vous seriez fidèle à celle qui se serait sacrifiée pour vous. Mais cette fidélité, Maltravers, à quelle vie d’activité et de talents perdus ne vous condamnerait-elle pas ? Mettant à part, pour le moment, la question de haute immoralité (car cette question-là n’a pas besoin de commentaires), qu’y a-t-il de plus funeste, pour une nature hardie et fière, que de se trouver, dès le début de sa carrière, en guerre avec la société ?