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Page:Bulwer-Lytton - Ernest Maltravers.pdf/121

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frisée aux extrémités, donnait encore plus d’austérité à une bouche qui restait comprimée, avec une fermeté sombre et à demi sarcastique. Il n’était pas habillé comme on s’habille en général ; il portait une blouse en camelot de couleur foncée, un grand col de chemise rabattu, et une étroite bande de soie noire, enroulée plutôt que nouée autour de son cou. Son pantalon était collant, et une paire de bottes à la hongroise complétait son costume. Il était évident que ce jeune homme (car il était très-jeune ; il n’avait que dix-neuf ou vingt ans environ) cultivait cette fatuité du pittoresque, signe plus certain d’une excessive vanité que la fatuité plus commune de la mode.

C’est étonnant comme il arrive souvent que l’arrivée d’un seul intrus, dans une réunion où régnait une douce et familière harmonie, suffit pour en détruire tout le charme. On s’en aperçoit, même quand l’importun est agréable et communicatif. Mais dans le cas présent, un revenant même eût été à peine plus maussade et plus mal venu. La présence de cet homme, à l’air embarrassé, silencieux et hautain, jeta du froid sur toute la société Le joyeux Tiraboloschi s’aperçut immédiatement qu’il était temps de partir ; personne n’y avait songé auparavant, mais effectivement il était tard. Les Italiens commencèrent à s’agiter, à rassembler leur musique, à faire de beaux discours et de belles protestations, à saluer et à sourire ; puis ils sautèrent dans leurs bateaux, tirèrent au large, et se dirigèrent vers l’auberge de Côme, où ils devaient passer la nuit. Tandis que la barque s’éloignait, deux d’entre les Milanais prirent les avirons, et les quatre autres saisissant leurs instruments entonnèrent un chant d’adieu. Il était minuit, le silence environnant était devenu plus intense et plus profond. Dans la transparence de l’air, et dans les ombres que les rivages voisins et les collines lointaines projetaient sur l’eau, il y avait une puissance de silence extraordinaire. Ce tableau prêtait aux sons de la musique, dont les rames marquaient la cadence, et qui devenaient de plus en plus faibles, un charme magique et pénétrant impossible à décrire.

Ceux qui étaient restés à terre ne parlaient pas ; une larme de reconnaissance humectait les beaux yeux de Teresa, tandis qu’elle s’appuyait au bras vigoureux de de Montaigne, pour qui elle éprouvait un attachement d’autant plus profond et plus pur peut-être, à raison de la différence d’âge qui existait entre elle et lui. La jeune fille qui se décide à aimer un homme,