Aller au contenu

Page:Bulwer-Lytton - Ernest Maltravers.pdf/133

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jamais, du bon sens dans la conduite de leur vie. Il leur arrive quelquefois de gagner le gros lot, mais ils le doivent au hasard, et non à leur adresse. Quand je vois, au contraire, un homme qui poursuit une carrière honorable et droite, qui est juste envers les autres et envers lui-même (car on se doit justice à soi-même, au soin de sa fortune et de sa réputation ; au gouvernement de ses passions), j’admire dans cet homme-là un plus digne représentant de son créateur, que dans celui qui n’a que du génie. Nous disons du premier qu’il a du bon sens ; oui, mais il possède aussi l’intégrité, le respect de soi-même, l’abnégation. Mille épreuves que brave son bon sens, et dont il sort victorieux, étaient autant de tentations auxquelles étaient exposés sa probité, l’égalité de son humeur, en un mot tous les côtés de sa nature compliquée. Or, je ne crois pas qu’il eût plus de bon sens qu’un ivrogne n’aura de force dans les nerfs, s’il n’avait pas pris l’habitude constante d’affranchir son esprit des enivrements de l’envie et de la vanité, et des émotions diverses qui nous trompent et nous égarent. Le bon sens n’est donc pas une qualité abstraite ou un mérite unique et simple ; c’est le résultat naturel de l’habitude de penser juste, et par conséquent de voir clair. Il diffère autant de la sagacité qui appartient au diplomate et à l’homme de loi, que la philosophie de Socrate diffère de la rhétorique de Gorgias. De même que pour constituer cet attribut chez un homme, il faut le concours d’une masse de qualités individuelles, de même une masse de tels hommes, ainsi organisés, constituent le caractère d’une nation. Votre Angleterre est donc renommée pour son bon sens ; mais elle est renommée aussi pour les qualités qui accompagnent le bon sens chez les individus : beaucoup d’honnêteté et de bonne foi dans les transactions, un ardent amour de la justice et de l’équité, une horreur générale pour ces crimes violents trop fréquents sur le continent, et une persévérance énergique dans toute entre prise commencée, qu’elle doit à sa trempe hardie et robuste.

— Nos guerres, notre dette… commença Maltravers.

— Pardonnez-moi, interrompit de Montaigne, je parle de votre peuple, non de votre gouvernement. Il arrive souvent que le gouvernement représente fort mal la nation. Mais même pour les guerres auxquelles vous faites allusion, si vous examinez bien, vous trouverez qu’en général elles ont leur origine dans l’amour de la justice (qui est la base du bon sens), et non dans un désir insensé de conquête ou de gloire. Un homme,