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Page:Bulwer-Lytton - Ernest Maltravers.pdf/152

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dit vertueuse. Dès l’instant qu’elle avait aimé, elle avait compris ce que signifie l’honneur des femmes ; et par une subite révélation, en se livrant elle-même, elle avait acquis en échange la pudeur, la pureté de la pensée et de l’âme. Notre code de morale, relativement au premier faux pas de la femme (prudent et raisonnable d’ailleurs comme système), nous entraîne souvent, ainsi que nous le savons tous, à de grossières erreurs, quant aux exceptions individuelles. Plus d’une femme qui a commis cette première faute par l’entraînement d’un amour pur et confiant est restée vertueuse après, au milieu de tentations sans nombre. Les malheureuses qui fourmillent dans nos rues et nos théâtres doivent rarement leur première chute à l’amour ; c’est la misère, c’est la contagion des circonstances et de l’exemple qui les ont corrompues. C’est une sotte phrase de jargon que de les appeler les victimes de la séduction ; ce sont les victimes de la faim, de la vanité, de la curiosité, des mauvais conseils d’autres femmes ; mais il est bien rare que la séduction de l’amour conduise à une vie d’infamie. Une fois qu’une femme a véritablement aimé, l’objet de son amour élève une barrière impénétrable entre elle et les autres hommes ; leurs avances l’épouvantent et la révoltent ; elle aimerait mieux mourir que d’être infidèle même à un souvenir. L’homme aime le sexe ; mais la femme n’aime que l’individu ; et plus elle l’aime, plus elle est froide pour toute son espèce. Car la passion d’une femme est dans le sentiment, dans l’imagination, dans le cœur. Il est rare qu’elle ait quelque chose de commun avec les grossières images qui flattent les adolescents ou les vieillards, les inexpérimentés et les blasés.

Mais quoique le sang d’Alice se glaçât dans ses veines en écoutant le langage de son terrible père, elle vit, dans cette ouverture même, une perspective de fuite. Dans une heure d’ivresse il la mit à la porte de la maison qu’il habitait, et se plaça de manière à la surveiller ; c’était dans la ville de Cork.

En un instant la résolution d’Alice fut arrêtée ; elle tourna l’angle d’une rue étroite et s’enfuit à toutes jambes. Darvil s’efforça en vain de la suivre ; l’ivresse troublait ses yeux et rendait ses pas chancelants. Elle entendit mourir au loin l’écho de sa dernière imprécation ; la crainte lui prêta des ailes, elle se trouva enfin dans les faubourgs de la ville. Elle s’arrêta épuisée et mourante de fatigue ; et alors, pour la première fois, elle sentit une existence nouvelle et étrange s’agiter en elle.