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Page:Bulwer-Lytton - Ernest Maltravers.pdf/201

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Maltravers n’avait pas de répugnance à suivre l’avis de son ami, puisque c’était d’ailleurs le moyen de profiter de ses conseils et de sa société. De plus, il jugeait que ce serait sage et raisonnable de voir face à face les hommes éminents de l’Angleterre, avec lesquels, s’il tenait la promesse qu’il avait faite à de Montaigne, il devait entrer en noble rivalité. Il consentit donc à ce que lui proposait Cleveland.

« Et n’avez-vous jamais, dit-il, avec hésitation, en s’arrêtant à la porte, lorsque le dernier coup de minuit l’eut averti qu’il était temps de se retirer, n’avez-vous jamais eu de nouvelles de ma… ma… de l’infortunée Alice Darvil ?

— Qui cela ?… Ah !… cette pauvre jeune femme ; je m’en souviens !… Non, pas un mot. »

Maltravers soupira et partit.


CHAPITRE II.

Je trouve que c’est une folie de vouloir étudier le monde en simple spectateur… Dans l’école du monde, comme dans celle de l’amour, il faut commencer par pratiquer ce qu’on veut apprendre.
(Rousseau.)

Ernest Maltravers voguait maintenant à pleines voiles sur le vaste océan de Londres. Entre autres propriétés, il possédait une maison dans Seamore-Place, cette rue tranquille quoique centrale, où l’on peut jouir de l’air du parc, sans en avaler la poussière. Elle avait été louée jusqu’alors ; mais le locataire ayant quitté fort à propos à cette époque, Maltravers fut charmé de s’approprier une résidence aussi agréable ; car il était encore assez romanesque pour mieux aimer la vue des arbres et de la verdure, que celle des maisons et des briques. Il ne se permit que deux genres de luxe : sa passion pour la musique le décida à prendre une loge à l’opéra, et il avait ce sentiment anglais, qui s’enorgueillit de posséder de beaux chevaux ; or ce sentiment-là le poussa à un luxe d’écurie qui défiait l’imitation et excitait l’envie de bien des hommes plus riches que lui. Mais un homme seul, qui ne joue pas, et qui est trop philosophe pour se créer des besoins superflus,