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Page:Bulwer-Lytton - Ernest Maltravers.pdf/241

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soulevé. Il respirait plus librement ; il pouvait dormir en paix. Sa conscience ne lui dirait plus : Celle qui a dormi sur ton sein est maintenant errante sur la face de la terre, exposée à toutes les tentations, périssant peut-être de besoin. Cette seule vue d’Alice avait été comme l’apparition des morts offensés, évoqués à Héraclée, dont la vue apaisait l’agresseur, et exorcisait les spectres du remords. Il s’était réconcilié avec lui-même, et s’avançait vers l’avenir la tête plus haute, et d’un pas plus ferme. Était-elle mariée à ce personnage d’un aspect si calme et si grave qu’il avait vu à côté d’elle ? Cette enfant était-elle le fruit de leur union ? Il l’espérait presque ! Il aurait mieux valu la perdre que la retrouver déshonorée. Pauvre Alice ! qui lui eût jamais dit, lorsque, assise aux pieds de Maltravers, elle plongeait son regard dans ses yeux, qu’un jour viendrait où il rendrait grâce au ciel, de pouvoir la croire heureuse avec un autre !

Ernest se sentit régénéré ; le soulagement de sa conscience influa sur les efforts de son génie. Une ardeur plus vive, plus élastique les anima comme d’une seconde jeunesse.

Cependant Cesarini s’était lancé dans le monde fashionable, et il était lui-même surpris de s’y voir fêté et caressé. Le fait est que Cesarini était précisément le genre d’homme à attirer la vogue. Les lettres de recommandation qu’il avait apportées de Paris, étaient adressées à quelques-uns de ces grands personnages anglais, par des personnages également importants en France, hommes entre lesquels la politique établit un pont de communication. Ils accueillirent Cesarini comme un jeune homme de talent, beau-frère d’un membre distingué de la chambre des Députés. D’un autre côté, Maltravers le présenta aux dilettanti littéraires, admirateurs de tout auteur en qui ils ne voient pas un rival. Le singulier costume de Cesarini, qui aurait soulevé la réprobation de tout le monde chez un Anglais, ravissait chez un Italien. Il avait l’air, disait-on, d’un poëte. Les dames aiment qu’on leur adresse des vers, et Cesarini, qui parlait fort peu, s’en vengeait en griffonnant éternellement. La tête du jeune homme s’échauffa bientôt par de continuels rapprochements qu’il faisait entre lui-même à Londres, et Pétrarque à Avignon. S’étant toujours imaginé que les grands seigneurs et les grandes dames étaient les dispensateurs de la gloire, et ne tenant aucun compte de la masse du public, il se croyait déjà illustre. L’un de ses plus profonds sentiments était la jalousie que lui inspirait Maltravers ; aussi fut-il