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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/10

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en chemin un pauvre baudet qu’on avait battu pour avoir mangé un chardon, et j’ai pensé le consoler en lui donnant la pomme. Aurais-je dû ne lui en donner que la moitié ? »

L’innocente figure de Lenny devint souriante et exprima l’intérêt : « Et le baudet a-t-il été content de manger la pomme ? dit-il.

— Très-content, » fit le curé en fouillant dans sa poche. Mais songeant à l’âge de Léonard Fairfield et à son intelligence ; remarquant de plus, dans l’orgueil de son cœur, qu’il y avait là de nombreux témoins de son action, il pensa que ses deux sous étaient insuffisants, et dans sa générosité tira de sa bourse un six pence d’argent.

« Tenez, mon garçon, cela vous récompensera de la moitié de pomme que vous auriez gardée pour vous. » Le curé caressa la chevelure de l’enfant ; et après un ou deux mots affectueux adressés aux autres faneurs, et un bonjour amical à mistress Fairfield, il disparut dans un sentier qui conduisait à son propre champ.

Il venait de passer la barrière, quand il entendit un pas vif, mais timide, derrière lui. Il se retourna et vit son ami Lenny.

Lenny (à moitié pleurant et tendant sa pièce d’argent). Non, monsieur j’aimerais mieux ne pas l’avoir. Je préférerais donner tout à Neddy.

Le curé. Eh bien, alors, mon garçon, vous avez encore plus de droit à votre pièce.

Lenny. Non, monsieur, parce que vous ne me l’avez donnée que pour me consoler de la moitié de pomme. Et si j’avais donné la pomme tout entière, comme j’aurais dû le faire, je n’aurais eu aucun droit au six pence. Je vous en prie, monsieur, que cela ne vous offense pas : mais reprenez la pièce. »

Le curé hésita et le jeune garçon glissa le six pence dans sa main, comme l’âne y avait fourré son nez pour y prendre la pomme.

« Je vois, dis le curé Dale en a parte, que si l’on ne donne pas à la justice la première place, toutes les autres vertus mangent sa part. »

En vérité, le cas était difficile : la charité, la coquine hardie et impudente qu’elle est, se jetant toujours au milieu du chemin et prenant la pomme des gens pour en faire son butin, avait frustré Lenny de ce qui lui revenait ; et voilà que la délicatesse, cette vertu timide, rougissante, craintive comme une enfant, et qui néanmoins est toujours occupée à vider les poches de ses sœurs, essayait de lui dérober sa juste récompense. La chose était embarrassante ; car le curé tenait la délicatesse en grand honneur, en dépit de ses façons hypocrites, et n’aimait pas à lui donner au visage un coup qui pût l’effrayer à jamais. Aussi M. Dale restait-il irrésolu ; ses yeux allaient du six pence à Lenny, et de Lenny au six pence.

« Buon giorno, » dit une voix par derrière avec un accent légèrement étranger, et une figure singulière apparut à la barrière.

Figurez-vous un homme grand et excessivement maigre, vêtu du haut en bas d’habits noirs et râpés, le pantalon, étroit sur le mollet et la cheville, s’étend à cet endroit pour former une large guêtre sur de gros souliers noués fort haut ; un vieux manteau, bordé de rouge,