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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/116

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ture à faire naître dans le cœur du tyran de la paroisse un frisson de terreur superstitieuse, surtout si l’on se rappelle l’extérieur étrange, l’air de Méphistophélès de Riccabocca. Aux exclamations incohérentes de M. Stirn, à ses paroles et à ses questions balbutiées, Riccabocca répondit d’un air si tragique et par des phrases si mystérieuses, si ambiguës et en même temps si longues, que Stirn fut de plus en plus convaincu que Lenny s’était vendu à l’esprit des ténèbres ; et que lui, Stirn, en chair et en os, se trouvait prématurément face à face avec l’ennemi du genre humain.

M. Stirn n’avait pas encore recouvré l’usage de toute son intelligence, qui, nous devons lui rendre justice, était ordinairement assez nette, lorsque arriva le squire, suivi de près par le curé. Le fait est que l’appel pressant communiqué par mistress Hazeldean à M. Dale, l’air décontenancé de cette dame, l’invitation, jusque-là sans exemple, adressée à ses paroissiens, tout avait donné des ailes au bon curé, dont les mouvements étaient d’ordinaire si calmes et si mesurés. Le squire, partageant la stupéfaction de Stirn, vit en effet deux grands pieds sortant des ceps, puis la grave figure du docteur Riccabocca, abritée par son majestueux parapluie, tandis que le seul être qu’il s’attendît à voir dans les ceps, ne s’y trouvait pas. M. Dale, tout haletant, le prit par le bras, et avec une violence de gestes qu’on ne lui avait jamais vue, si ce n’est au whist, s’écria :

« M. Hazeldean, M. Hazeldean, je suis vraiment scandalisé. Je suis disposé à endurer bien des choses de vous, comme c’est mon devoir ; mais inviter tous mes paroissiens, aussitôt après l’office divin, à se rendre au château pour y boire à ma santé, comme si j’avais fait un discours sur une foire, ceci est par trop fort. J’en rougis pour vous et pour la paroisse. Que vous est-il donc arrivé ?

— C’est précisément la question que j’adresserais volontiers au bon Dieu ! murmura le squire d’un ton contrit. Que nous est-il donc arrivé ! Demandez à Stirn : puis, s’emportant tout-à-coup, il ajouta : Stirn, infernal coquin que tu es, me diras-tu ce qui nous est arrivé ?

— Au fond de tout cela, il y a du papiste, voyez-vous, monsieur, répondit Stirn, poussé à bout et ne gardant plus aucun ménagement : je fais mon devoir, mais à fin de compte, je ne suis qu’un mortel, après tout.

— Mais enfin, où est Léonard Fairfield ?

— Celui-ci le sait mieux que personne, » répondit Stirn, se reculant avec une prudence instinctive derrière le curé et montrant du doigt Riccabocca.

Jusque-là, le squire et le curé avaient bien reconnu l’Italien, mais ils l’avaient cru assis sur le banc ; il ne leur était pas venu à l’idée qu’un homme aussi respectable, pût jamais de gré ou de force devenir prisonnier des ceps. Le squire avait bien vu, juste sous son nez passer à travers les trous deux énormes semelles. Et il avait été confondu et troublé de voir que le corps et la figure de Lenny Fairfield ne suivaient pas ces pieds comme cela eût dû être. Ces semelles lui semblaient l’effet d’une illusion d’optique, les fan-