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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/121

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espion ne devait attendre aucune pitié ; l’enfant-modèle était devenu un objet de raillerie et l’espion un objet de haine.

Sans doute en présence du maître d’école et sous les yeux de M. Dale, personne n’osait manifester ouvertement ces sentiments malveillants ; mais lorsqu’une fois ces motifs de contrainte avaient disparu, la persécution générale recommençait.

Les uns montraient Lenny du doigt et lui faisaient la grimace. Les autres l’appelaient lâche, et tous le fuyaient. Le soir, en traversant le village, il entendait des voix qui disaient derrière les haies : Qu’est-ce qui a été mis dans les ceps ?… ha ! ha ! ha ! ha !… Qu’est-ce qui a reçu une volée pendant qu’il espionnait pour le compte de Nick Stirn ?… ha ! ha ! ha !

De plus sages et de plus modérés que notre pauvre enfant modèle auraient inutilement essayé de résister à cette sorte de persécution. Il prit tout d’un coup une résolution que sa mère approuva. Deux ou trois jours après le retour de Riccabocca au Casino, Lenny Fairfield se présenta sur la terrasse avec un petit paquet sous le bras. « Monsieur, dit-il au docteur, qui était assis les jambes croisées sur la rampe tenant son parapluie de soie rouge ; monsieur, si vous avez la bonté de me prendre à votre service, et de me donner un trou pour coucher, je travaillerai nuit et jour pour Votre Excellence. Et, quant aux gages, ma mère m’a dit que ça serait comme vous voudriez.

— Mon enfant, dit le docteur en prenant Lenny par la main, et en le regardant d’un œil pénétrant, je savais que tu viendrais, et Giacomo est déjà tout prêt à te recevoir. Quant aux gages nous en parlerons tantôt. »

Lorsque Lenny fut ainsi installé, sa mère contempla pendant plusieurs soirées, la chaise vide où elle avait vu si longtemps l’enfant occuper la place de son cher Mark. Ce spectacle était pour elle si triste et si désespérant qu’elle ne put le supporter. Le village lui était devenu aussi désagréable qu’à Lenny. Un matin, elle appela l’intendant du squire qui passait au trot devant la porte, sur un gros cheval de ferme, et le pria de dire à son maître, qu’elle lui serait bien obligée, s’il voulait lui résilier les six mois de bail pour les champs et les dépendances qu’elle tenait à loyer, ajoutant qu’il en trouverait aisément un meilleur prix.

« Vous êtes folle, dit l’intendant, qui était brave homme, et je suis bien aise que vous m’ayez parlé plutôt qu’à Stirn. Vous faites bien vos affaires ici et vous avez ça, on peut dire, pour rien.

— Ce n’est pas tout que le loyer, faut aussi le contentement, dit la veuve, et maintenant que Lenny est allé travailler chez le monsieur étranger, je voudrais aller vivre près de lui.

— Ah ! oui, j’ai entendu dire que Lenny s’en est allé au casino… Quelle folie ! Mais Dieu merci, ça n’est pas bien loin, deux milles ou à peu près… Ne peut-il pas revenir ici chaque soir après son ouvrage ?

— Non, monsieur, s’écria la veuve, avec vivacité…, non, il ne reviendra pas ici pour qu’on l’injurie, qu’on s’y moque de lui… Lui,