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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/147

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« Je ne dis pas qu’il y ait uniquement de votre faute ; peut-être y a-t-il eu de la mienne.

— Non, non…, s’écrièrent en chœur les assistants.

« Permettez, mes amis, » continua le squire d’un ton modeste, et employant pour s’expliquer des aphorismes qui, s’ils étaient moins profonds que ceux de Riccabocca, étaient plus à la portée des intelligences populaires. « Permettez, nous sommes tous des hommes, et chaque homme a son dada favori, quelquefois il le mène, quelquefois il est mené par le dada, pour peu que celui-ci soit dur à conduire. L’un a un dada qui a la mauvaise habitude de s’arrêter toujours au cabaret. (Rires.) Le dada d’un autre refuse de dépasser d’une cheville la porte où la semaine précédente la main d’une jolie fille lui a caressé le cou : c’est un dada que j’ai enfourché assez souvent, lorsque je faisais la cour à mon excellente femme ici présente. (Rires nombreux et applaudissements.) D’autres ont un dada paresseux, avec lequel il n’y a pas moyen d’avancer ; d’autres, au contraire, ont pour dada un coureur qu’on ne peut retenir ; mais, pour en finir, mon dada favori à moi, comme vous le savez fort bien, trotte dans mes propriétés partout où il est besoin de la main et de l’œil du maître. J’ai horreur, s’écria le squire s’échauffant, des choses malpropres et en mauvais état. La terre qui nous fait vivre est une bonne mère pour nous, et nous ne saurions trop faire pour elle. Il est vrai, chers voisins, que je lui suis redevable d’une bonne quantité d’hectares, et que je dois n’en dire que du bien ; mais je vis au milieu de vous ; et ce que je reçois d’une main, je le répands de l’autre parmi vous. (Murmures sourds, mais approbateurs.) Or donc, plus j’apporte d’améliorations dans ma propriété, plus il y a de bouches qui en vivent. Mon aïeul tenait un livre de comptes sur lequel se trouvaient inscrits non-seulement les noms de tous les fermiers, mais la quantité de terre qu’ils avaient à loyer et le chiffre moyen des ouvriers que chacun employait. Mon grand-père et mon père ont suivi son exemple. J’ai fait comme eux et je trouve, chers voisins, que nos fermages ont doublé depuis que mon aïeul a commencé ce livre. Oui, mais il y a quatre fois plus d’ouvriers employés, et de bien meilleurs gages aussi pour chacun ! Eh bien, mes enfants, voilà ce qui prouve l’avantage d’améliorer ses propriétés et de ne pas les laisser dans l’abandon. (Applaudissements.) Voilà pourquoi, chers voisins, j’espère que vous voudrez bien me pardonner aussi d’avoir mon dada : il fait venir de l’eau au moulin, (Les applaudissements recommencent.) Mais vous allez dire : Où donc le squire veut-il en venir ? À ceci, mes amis : Il n’y avait dans la paroisse d’Hazeldean qu’une chose qui fût en mauvais état, délabrée et tombant en ruines ; elle me blessait les yeux. Je sellai mon dada et j’y courus au galop. Ah ! ah ! vous savez ce que je veux dire maintenant ! Oui ; mais, voisins et amis, il ne fallait pas prendre la chose aussi à cœur que vous l’avez fait. C’était mal à vous de vouloir me pendre en effigie, comme on dit. »

— Ce n’était pas vous, s’écria une voix dans l’assemblée ; c’était Nick Stirn. »