Aller au contenu

Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/150

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’influence civilisatrice de l’épouse anglaise. Ses vêtements paraissaient lui aller mieux : il est vrai qu’ils étaient neufs. Mistress Dale ne lui voyait plus de poignets sans boutons, ce qui était pour elle une grande satisfaction. Quoi qu’il en soit, le philosophe resta cependant fidèle à sa pipe, à son manteau et à son parapluie rouge. Mistress Riccabocca, disons-le à son honneur, employa tous les moyens imaginables pour faire disparaître ces derniers vestiges du célibataire, mais elle n’y put réussir. « Anima mia, lui dit le docteur avec tendresse, je conserve mon manteau, mon parapluie et ma pipe comme les seuls souvenirs qui me restent de mon pays natal. Épargnez-les, je vous prie. »

Mistress Riccabocca, attendrie, eut le bon sens de comprendre qu’un homme, si marié qu’il soit, conserve certains signes de son indépendance, certaines marques de son identité, que la femme la plus despote fait bien de lui laisser.

Elle accorda le manteau, se soumit au parapluie et surmonta son aversion pour la pipe. Il faut dire aussi que, considérant la perversité de notre sexe, elle s’avoua qu’elle aurait pu rencontrer de pires déboires. Cependant, malgré ce calme et cette gaieté de Riccabocca, il était visible que quelque chose le tourmentait. Dès la seconde semaine de son mariage il parut préoccupé et son agitation alla toujours croissant, jusqu’à ce qu’un jour qu’il était debout sur la terrasse, regardant la route où était Jackeymo : une diligence vint à s’arrêter. Le docteur bondit, portant les deux mains à son cœur, comme s’il eût été traversé d’une balle. Il s’élança par-dessus la balustrade, et sa femme, qui était à la fenêtre, le vit descendre rapidement la colline, avec ses longs cheveux flottant au vent, jusqu’à ce qu’un rideau d’arbres l’eût dérobé à ses yeux.

« Ah ! se dit-elle avec une sorte de jalousie conjugale, maintenant je n’ai plus que la seconde place dans son cœur. Il est allé au-devant de sa chère enfant. » À cette pensée, mistress Riccabocca ne put retenir quelques larmes.

Mais elle était si naturellement bonne, qu’elle se hâta de vaincre son émotion et d’effacer autant que possible les traces de son chagrin de belle-mère. L’épouse murmura une prière de repentir, puis descendant promptement l’escalier, elle parut sur la terrasse souriante et gracieuse.

Elle en fut récompensée, car à peine y était-elle qu’elle sentit deux petits bras entourer son cou et une voix, la plus douce qui fut jamais, lui dire en mauvais anglais :

« Chère maman, aimez-moi un peu.

— Que je vous aime ? Ah ! de tout mon cœur ! s’écria la belle-mère avec un élan de sentiment maternel. Et elle pressa l’enfant sur son sein.

— Dieu vous bénisse, ma femme ! » dit Riccabocca d’une voix émue.