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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/155

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Ce nouveau genre de travail la mit en contact immédiat avec Léonard Fairfield ; et celui-ci trouva un matin, à sa grande consternation, miss Violante occupée à arracher tout un plan de céleri que, dans son ignorance, elle avait pris pour de mauvaises herbes.

Lenny entra dans une grande colère. Il lança bien loin la binette et dit brusquement : « Cela est bien vilain, mademoiselle ; je le dirai à votre papa, si vous… »

Violante recula : jamais on ne lui avait ainsi parlé, et si la surprise qu’exprimaient ses beaux yeux était vraiment comique, il y avait quelque chose de tragique dans son air offensé.

« Oui, c’est mal de votre part, mademoiselle, continua Lenny d’un ton plus calme, car le regard de l’enfant l’avait adouci et son maintien l’avait effrayé, j’espère que vous ne recommencerez plus.

Non capisco (je ne comprends pas), » murmura Violante, dont les yeux noirs se remplirent de larmes.

En ce moment arriva Jackeymo ; et Violante, lui montrant Léonard, dit, en s’efforçant de cacher son émotion : « Il fanciullo è multo grossolano. » (Le garçon est très-grossier.) »

Jackeymo se retourna vers Léonard, et lui lançant un regard de tigre furieux :

« Comment oses-tu, rebut de la terre, s’écria-t-il, comment oses-tu faire pleurer la signorina ? » Et la langue anglaise ne lui fournissant pas assez de mots humiliants, il fit pleuvoir sur Lenny une telle grêle d’invectives italiennes, que le jeune garçon en pâlit et rougit tour à tour de rage et de perplexité.

Violante eut à l’instant pitié de sa victime, et, par un caprice naturel aux femmes, elle se mit à gronder Jackeymo de sa colère, puis s’approchant de Lenny, elle posa sa main sur le bras du jeune garçon, et dit avec une bonté d’enfant et de reine à la fois, et dans un charmant mélange de mauvais anglais et de pur italien (idiome que je n’ai pas la prétention de pouvoir rendre et que je vais traduire) :

— Ne vous tourmentez pas de ce qu’il dit. Tout cela est ma faute ; seulement je ne vous comprenais pas : ne sont-ce donc pas des mauvaises herbes ?

— Non, ma chère signorina, dit Jackeymo en italien en regardant avec tristesse la planche de céleri ; ce ne sont point de mauvaises herbes, et le céleri se vend très-cher à cette époque de l’année. Mais s’il vous plaît de l’arracher, je voudrais bien savoir qui a le droit de s’y opposer ? »

Lenny s’éloigna. Il avait été appelé « rebut de la terre, » et par un étranger encore ! Il était de nouveau maltraité pour avoir fait ce qu’il croyait son devoir. Il sentait encore une fois la distinction qui existe entre le riche et le pauvre, et il s’imaginait maintenant que cette distinction devait entraîner une guerre à mort ; car il avait lu depuis le premier mot jusqu’au dernier les deux maudites brochures que le chaudronnier lui avait données. Mais au milieu du trouble de son âme, il sentit la douce pression de la main de la petite fille, la tendre