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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/168

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— Je n’ai pas dit cela tout à fait. J’ai dit que vous l’aviez rendu capable d’occupations plus nobles ; mais ne le lui répétez pas, je ne puis pas encore vous en dire davantage, car je doute beaucoup du succès de ma mission ; et il ne faut pas déplacer le pauvre Léonard avant de savoir d’une manière certaine que nous pouvons améliorer sa position.

— C’est là une chose dont vous ne pouvez jamais être sûr, dit le philosophe en hochant la tête ; il est vrai que je suis trop intéressé dans la question pour ne pas vous en vouloir de chercher à éloigner de moi un serviteur inappréciable ; un garçon fidèle, rangé, intelligent, et, ajouta Riccabocca en s’échauffant à mesure qu’il approchait de l’épithète la plus excessivement bon marché. N’importe ! allez, et que le ciel vous conduise ! Je ne suis pas assez Alexandre pour me mettre entre un homme et le soleil.

— Signor Riccabocca, vous êtes un noble cœur, malgré votre flegme sentencieux et vos infâmes bouquins. » En disant ces mots, le curé abaissa son fouet avec une si imprudente ardeur sur l’épaule de la jument, que la pauvre bête, réveillée en sursaut, fit un mouvement impétueux en avant, et faillit précipiter Riccabocca de la barrière sur laquelle il était assis ; puis, se mettant à cabrioler sous l’étreinte désespérée du curé qui tirait la bride, elle prit le mors aux dents et s’élança au galop.

Le curé perdit les étriers, et lorsque, profitant du moment où la bête ralentissait le pas, il put se rasseoir solidement, respirer et promener ses regards autour de lui, il avait perdu de vue Riccabocca et le casino.


CHAPITRE X.

Le bourg de Lansmere était situé dans la province contiguë à celle où se trouvait le village d’Hazeldean. La journée était déjà avancée lorsque le curé traversa le petit ruisseau qui séparait les deux comtés, et arriva à une auberge qui formait un angle à l’endroit où la grand route se partageait en deux chemins, l’un conduisant à Lansmere, l’autre allant directement à Londres. Ce fut devant cette auberge que la jument s’arrêta. Elle baissa les oreilles d’un air indiquant qu’elle se disposait à se restaurer. Le curé lui-même, sentant qu’il avait chaud et qu’il était quelque peu fatigué, dit à sa bête avec bonté :

« Tu as bien gagné ton picotin et ton seau d’eau. »

Descendant donc de cheval et se trouvant les membres fort roides, le curé, dès qu’il eut touché terra ferma, remit son cheval au garçon