Aller au contenu

Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/170

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Je ne vous ai pas dit où j’allais, monsieur, » dit le curé d’un ton sec, car il était blessé de l’observation inconvenante de l’étranger au sujet de ses talents équestres.

Le curé prit son chapeau, et, après avoir fait un salut plus majestueux que le premier, sortit pour voir si son cheval avait terminé son repas.

L’animal avait en effet mangé le peu d’avoine qu’on lui avait donné. Quelques minutes après, M. Dale se remit en selle. À peine avait-il fait trois milles, qu’un bruit de roues lui fit tourner la tête ; il aperçut une chaise de poste avançant avec rapidité ; par la portière passaient deux jambes d’homme. La jument se mit à bondir en entendant derrière elle les grelots des chevaux de poste ; au même moment, le curé s’aperçut qu’une figure humaine avait remplacé les jambes. Le voyageur regarda en passant M. Dale ballotté sur sa selle, et lui cria :

« Comment se trouve votre cuir ?

— Mon cuir ! répéta tout seul le curé, lorsque le cheval eut repris son allure paisible. Que veut-il dire ? Mon cuir ! Quel homme commun ! Mais je m’en suis adroitement débarrassé. »

M. Dale, arrivé sans encontre à Lansmere, descendit à l’auberge principale, se rafraîchit par une ablution générale, et s’assit de fort bon appétit devant son bifteck et sa pinte de porter.

Le curé se connaissait mieux en hommes qu’en équitation, et, après un regard de satisfaction jeté sur le civil et souriant aubergiste qui vint ôter le couvert et apporter le vin, il se risqua à entamer la conversation.

« Milord est-il au château ?

L’aubergiste (redoublant de politesse). Non, monsieur ; sa seigneurie et milady sont allées à Londres pour y voir lord L’Estrange.

— Lord L’Estrange ! Il est donc en Angleterre ?

— Je l’ai entendu dire, répliqua l’aubergiste ; mais nous ne le voyons jamais ici maintenant. Je me rappelle que c’était un fort joli garçon ; tout le monde l’aimait et était fier de lui. Que d’espiègleries il a faites quand il était enfant ! Nous espérions le voir revenir dans le bourg un de ces quatre matins ; mais il est allé à l’étranger. C’est bien dommage ! Je suis un vrai bleu, monsieur, comme ça doit être. Les candidats bleus me font toujours l’honneur de descendre aux Armes de Lansmere. Il n’y a que les gens du commun qui fréquentent le Sanglier, ajouta l’aubergiste avec un regard d’inexprimable dédain. J’espère que vous trouverez ce vin bon, monsieur ?

— Très-bon ! Il me paraît vieux.

— Il est en bouteille depuis dix-huit ans, monsieur. Je l’avais en pièce au moment de la grande élection de Dashmore et d’Egerton. Il ne m’en reste plus que fort peu, et je le réserve pour les vieux amis comme… car, malgré que vous ayez pris de l’embonpoint, il me semble que j’ai déjà eu le plaisir de vous voir.

— C’est vrai, monsieur ; et cependant je ne pense pas avoir été pour vous une bien bonne pratique.