Aller au contenu

Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/181

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Nous sommes venus pour causer avec toi, Léonard, dit M. Dale, mais je crains que nous ne dérangions mistress Fairfield.

— Oh ! non ; monsieur, la porte de l’escalier est fermée, et elle a le sommeil dur.

— Tiens ! voici un livre français. Tu comprends donc le français ? demanda Riccabocca.

— Je n’ai pas trouvé beaucoup de difficulté, monsieur, une fois la grammaire connue, la langue est claire : on dirait que c’est le langage même du raisonnement.

— C’est vrai ; Voltaire a dit avec beaucoup de justesse : tout ce qui n’est pas clair n’est pas français.

— Je voudrais pouvoir en dire autant de l’anglais, murmura le curé.

— Mais que vois-je ? du latin aussi ? Virgile ?

— Oui, monsieur. Mais de ce côté-là je marche bien lentement n’ayant pas de maître. Je crains bien d’être obligé de l’abandonner (ici Léonard pousse un soupir). »

Les deux gentleman échangèrent un regard et s’assirent. Le jeune paysan resta modestement debout. Son air et son maintien avaient je ne sais quoi qui touchait le cœur tout en plaisant à l’œil.

« Allons ! prends une chaise et assieds-toi entre nous deux, Léonard, dit le curé.

— S’il y a quelqu’un qui ait le droit de s’asseoir, c’est bien celui qui doit entendre le sermon, dit Riccabocca.

— Ne t’effraye pas, ajouta le curé avec bonté, il ne s’agit que d’une critique, non pas d’un sermon, et il tira de sa poche l’essai de Léonard. »


CHAPITRE XIV.

Le curé. Tu prends pour épigraphe cet aphorisme de Bacon : Savoir c’est pouvoir.

Riccabocca. Bacon, l’auteur d’un pareil aphorisme ! c’est le dernier homme du monde qui eût débité quelque chose d’aussi creux et d’aussi absurde.

Léonard (surpris). Voulez-vous dire, monsieur, que cet aphorisme n’est pas dans lord Bacon ? eh bien, je l’ai vu cité comme de lui dans presque tous les journaux, dans presque tous les discours prononcés en faveur de l’éducation populaire.

Riccabocca. Eh bien, que cela te serve de leçon et t’apprenne à ne plus retomber dans l’erreur commune à tous les prétendus savants, c’est-à-dire à faire des citations de seconde main. Lord Bacon a composé un grand ouvrage pour montrer en quoi savoir c’est pouvoir,