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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/22

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l’historien Mitford n’a pas hésité à appeler Jean-Jacques John-James. Nous suivrons cet illustre exemple, en changeant à l’anglaise le nom de Giacomo en celui de Jackeymo. Jackeymo donc vint aussi vers la balustrade et resta debout à quelque distance derrière son maître.

« Mon ami, dit Riccabocca, les entreprises ne nous ont pas toujours réussi. Ne crois-tu pas que ce serait braver notre mauvaise étoile que de louer ces champs à notre propriétaire ? » Jackeymo se signa et fit un mouvement bizarre avec une petite amulette de corail qu’il portait enchâssée dans une bague à son doigt.

« Si la madone nous protège et que nous puissions trouver un garçon bon marché ! dit Jackeymo d’un air de doute.

Più vale un presente che dui futuri, dit Riccabocca. (Un bon tiens vaut mieux que deux tu l’auras.)

Chi non fa quando puo, non puo fare quando vuole (qui ne fait quand il peut, ne peut plus quand il veut), répondit Jackeymo d’un ton aussi sentencieux que son maître. Et, de plus, le padrone devrait songer à temps qu’il lui faut amasser quelque chose pour la dot de la pauvre signorina. »

Riccabocca sourit et ne répondit pas.

« Elle doit être haute comme ça, maintenant, » dit Jackeymo en élevant sa main jusqu’à un point imaginaire un peu au-dessus de la rampe. Les yeux de Riccabocca suivirent par-dessus ses lunettes la main de Jackeymo.

« Si le padrone pouvait seulement l’avoir ici. Il ne la laisserait jamais le quitter que pour aller avec un mari, continua Jackeymo.

— Mais ce climat, elle ne pourra jamais le supporter, dit Riccabocca en s’enveloppant de son manteau, tandis que le vent du nord soufflait.

— Les orangers mêmes fleurissent ici avec des soins, dit Jackeymo en se retournant pour tirer un rideau qui protégeait les orangers du côté du nord. Voyez ! » ajouta-t-il en se retournant avec une branche pleine de boutons.

Le docteur Riccabocca se pencha sur la fleur et la plaça dans son sein.

« L’autre pourrait être aussi là, dit Jackeymo.

— Pour y mourir, comme celle-ci le fait déjà, répondit Riccabocca ; n’en parlons plus. »

Jackeymo haussa les épaules, et, lançant un regard vers son maître, il passa sa main sur ses yeux.

Il se fit un moment de silence. Jackeymo le rompit le premier.

« Mais ici comme là-bas la beauté sans argent est un oranger sans abri. Si l’on pouvait trouver un garçon bon marché, je louerais la terre et mettrais ma confiance dans la madone pour la récolte.

— Je crois que Je connais un garçon qui ferait l’affaire, dit Riccabocca en se remettant ; et un sourire sardonique plissa de niveau les deux coins de sa bouche. Un garçon fait exprès pour nous.

Diavolo !

— Non, pas diavolo ! Ami, j’ai vu aujourd’hui un garçon qui a refusé un six pence.