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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/221

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tention de faire beaucoup d’économies. L’année commençait et finissait à Noël ; ils n’auraient pu vivre un jour de plus.

Le colonel Pompley était assis devant son bureau. Il portait un habit bleu bien brossé, boutonné du haut jusqu’en bas ; son pantalon gris collant était assujetti sous ses bottes par une petite chaîne. On n’avait jamais vu le colonel Pompley en robe de chambre ni en pantoufles. Lui et sa maison étaient toujours en ordre, toujours propres,

Du matin jusqu’au soir, du soir jusqu’au matin.

Le colonel était un petit homme trapu, avec une disposition à l’embonpoint, un visage très-rouge qui paraissait non-seulement rasé, mais pour ainsi dire râpé. Il portait les cheveux très-courts, excepté sur le front, où il avait ce que les coiffeurs appellent un toupet ; on eût dit un toupet de fer, tant il était roide et droit. Le colonel portait la fermeté et la régularité empreintes sur sa physionomie ; ses traits avaient quelque chose de tendu, comme s’il eût été sans cesse occupé à faire joindre les deux bouts de son budget.

Il était donc assis devant son livre de comptes, la plume en main, faisant des croix ici, mettant là des points d’interrogation.

« La femme de chambre de Mme M’Catchley, se disait le colonel, a besoin d’être rappelée à l’ordre. Comme elle prend du thé ! Bonté du ciel ! encore du thé ! »

En ce moment, un modeste coup de sonnette se fit entendre.

« Il est encore trop tôt pour que ce soit une visite, pensa le colonel. C’est peut-être le porteur d’eau. »

Le domestique, toujours propre et poudré, qu’on ne voyait jamais hors de l’office qu’en grande tenue, entra et salua.

« Un gentleman désire vous voir, monsieur.

— Un gentleman ! répéta le colonel en regardant l’horloge. Êtes-vous sûr que ce soit un gentleman ? »

Le domestique hésita.

« Je n’en suis pas parfaitement sûr, monsieur ; mais il parle comme un gentleman ; il dit qu’il vient de Londres exprès pour vous voir. »

Le colonel entretenait en ce moment une longue et intéressante correspondance avec l’agent de change de sa femme, relativement au placement de la fortune de mistress Pompley. Ce pouvait être, ce devait être lui. Cet agent de change avait une fois parlé de venir le voir.

« Faites entrer, dit le colonel ; et quand je sonnerai… du xérès et des sandwiches.

— De bœuf, monsieur ?

— De jambon. »

Le colonel mit de côté son livre de comptes, et essuya sa plume. Une minute après, la porte s’ouvrit et le domestique annonça M. Digby.

Le colonel pâlit et tressaillit.

La porte se referma, et M. Digby resta au milieu de la chambre,