Aller au contenu

Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/232

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

decin ; et même, ajouta-t-il, avec une superbe humilité, je n’ai pas encore mon diplôme, et je ne suis docteur qu’officieusement.

Le docteur Morgan. C’est tout comme, monsieur. Le docteur signe la condamnation, le pharmacien l’exécute.

Le docteur Dosewell {avec un sourire moqueur). Il est vrai que nous ne promettons pas de rendre la vie à un mourant à l’aide du suc vénéneux de l’upas.

Le docteur Morgan (avec condescendance). Certainement non. Pour nous, il n’y a pas de poison. C’est justement la différence qui existe entre vous et moi, docteur Dosewell.

Le docteur Dosewell (montrant du doigt la pharmacie de voyage de l’homœopathe et d’un ton de candeur affectée). Pour ma part, j’ai toujours dit que si à la vérité vous ne pouviez faire de bien, vous ne pouviez non plus faire aucun mai avec vos doses infinitésimales. »

Le docteur Morgan que l’accusation d’empoisonneur n’avait pas ému, s’enflamme lorsqu’on prétend qu’il ne peut faire de mal.

« Vous n’y connaissez rien, je pourrais tuer tout autant de gens que vous si je le voulais, mais je ne le veux pas.

Le docteur Dosewell (haussant les épaules). Monsieur, il est inutile d’argumenter contre le sens commun. Bref, ma ferme conviction est que c’est une complète… une complète…

Le docteur Morgan. Une complète quoi ?

Le docteur Dosewell (poussé à bout). Duperie !

Le docteur Morgan. Une duperie. Sapristi ! vieux…

Le docteur Dosewell. Vieux quoi, monsieur ?

Le docteur Morgan (s’engageant avec dextérité dans l’articulation de voyelles allitérées qu’un Cimbre seul est capable de prononcer sans reprendre haleine). Vieil anthropophage d’allopathe.

Le docteur Dosewell (saisissant le dossier de la chaise sur laquelle il était assis, puis la rejetant violemment sur ses quatre pieds.) Monsieur !….

Le docteur Morgan (faisant le même geste avec sa chaise), Monsieur !

Le docteur Dosewell. Vous êtes grossier.

Le docteur Morgan. Vous êtes impertinent !

Le docteur Dosewell. Monsieur !

Le docteur Morgan. Monsieur !

Et les deux rivaux se rapprochèrent.

Ils étaient tous les deux de taille athlétique : tous les deux violents. Le docteur Dosewell était plus grand, mais le docteur Morgan était plus fort. Le docteur Dosewell était Irlandais du côté de sa mère, mais le docteur Morgan était Gallois des deux côtés. Bien considéré, j’aurais parié pour le docteur Morgan, si l’on en fût venu aux coups. Mais heureusement pour l’honneur de la science, la servante frappa à la porte, en disant : « La voiture arrive, monsieur. »

En entendant ces mots le docteur reprit son sang-froid et ses manières polies.