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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/238

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CHAPITRE XXXIV.

Heureusement le déjeuner dansant absorbait tellement l’esprit de M. Richard Avenel, que l’incendie de ses meules ne put endommager les gracieuses et poétiques images qui se rattachaient pour lui à ces réjouissances champêtres. Il n’adressa même que des questions décousues et insouciantes à Léonard au sujet du chaudronnier ; il ne fit pas non plus poursuivre par la justice ce marchand ambulant ; à vrai dire, Richard Avenel était habitué à se faire des ennemis dans les classes inférieures ; il soupçonnait bien Sprott d’avoir incendié ses meules, mais comment eût pu s’occuper de meules et de chaudronniers, un homme dont les facultés et les préoccupations étaient concentrées sur les préparatifs d’un déjeuner dansant ? Richard Avenel (et tous les gens intelligents devraient en cela l’imiter), avait pour maxime de ne jamais faire qu’une chose à la fois ; aussi tout fut-il ajourné jusqu’après le déjeuner dansant, sans en excepter la lettre que Léonard désirait écrire au curé. « Attendez un peu, et nous écrirons tous les deux, avait dit Richard, d’un ton de bonne humeur : Attendez que le déjeuner dansant soit passé. »

Il faut dire que cette fête n’était pas une fête de province ordinaire. Richard Avenel était homme à bien faire les choses, quand une fois il s’en mêlait.

Peu à peu ses premières idées s’agrandirent ; il n’avait d’abord songé qu’au soin et à l’élégance ; mais bientôt son imagination atteignit à la splendeur et à la magnificence. Des artistes habitués aux déjeuners dansants arrivèrent de Londres pour aider, pour diriger, pour créer. On avait engagé des chanteurs hongrois, des chanteurs tyroliens, des paysannes suisses qui devaient chanter le Ranz des vaches. La grande tente était décorée en salle gothique ; le déjeuner lui-même était composé des plus délicates primeurs de la saison.

Bref, comme Richard se l’était dit à lui-même : « Ce sera une chose une fois faite, et je ne regarde pas à l’argent pourvu qu’elle soit ce qu’elle doit être. Je voudrais bien savoir, pensait-il, ce que dira mistress M’Catchley. » En effet, s’il faut dire la vérité, non-seulement M. Richard Avenel donnait ce déjeuner dansant en l’honneur de mistress M’Catchley, mais il avait résolu au fond de son cœur, que dans cette occasion (alors qu’environné de toute sa splendeur et assisté des séductions de Terpsichore et de Bacchus), il avait résolu, dis-je, de murmurer à l’oreille de mistress M’Catchley ces mots si doux qui… ; mais pourquoi ne pas laisser M. Richard Avenel s’exprimer dans son langage énergique : « Avec la permission de ces goinfres, s’était dit Avenel, je bâclerai l’affaire. »