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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/245

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— Madame, dit Richard, lorsque sa compagne et lui ne furent plus à portée d’être entendus, je compte sur vous pour me rendre un service.

— Sur moi ?

— Sur vous, et sur vous seule. Vous avez de l’influence sur tout ce monde, et un mot de vous produira l’effet que je désire. Mistress M’Catchley, ajouta Richard avec une solennité presque imposante : je crois que vous avez quelque amitié pour moi ; je n’en saurais dire autant d’aucun de ceux qui sont ici. Voulez-vous me rendre ce service, oui ou non ?

— De quoi s’agit-il, monsieur Avenel ? demanda mistress M’Catchley très-troublée et quelque peu attendrie, car cette dame ne manquait pas de sensibilité ; elle se considérait même comme très-impressionnable.

— Faites que tous vos amis… que toute la société, en un mot, revienne dans la tente prendre des rafraîchissements. J’ai quelques mots à leur adresser.

— Bonté divine ! monsieur Avenel,… quelques mots ! s’écria la veuve, mais c’est précisément ce qu’ils redoutent. Excusez-moi, mais, en vérité, vous ne pouvez pas inviter les gens à un déjeuner dansant pour les sermonner.

— Je n’ai nullement envie de les sermonner, dit Avenel d’un air sérieux, je vous le jure. Je vais au contraire tout arranger et j’espère qu’ensuite la danse pourra continuer, et que vous m’accorderez de nouveau votre main. Je vous laisse à votre tâche, et croyez-moi, je ne suis pas ingrat. »

Il dit et saluant avec une certaine dignité, il disparut sous la tente du côté où on avait déjeuné. Il s’occupa de réunir les domestiques et leur ordonna de mettre le plus d’ordre possible dans la salle. Mistress M’Catchley, dont la curiosité et l’intérêt étaient éveillés s’acquitta de sa commission avec toute l’habileté et tout le tact d’une femme du monde et, en moins d’un quart d’heure la tente se remplit, les bouchons sautèrent, le champagne jaillit, étincela dans les verres ; on but dans le plus profond silence ; on mangea des fruits et des gâteaux, on s’enhardit d’autant plus qu’on se sentait nombreux et l’on fut très-curieux de savoir ce qui allait se passer. M. Avenel en haut de la table se leva tout à coup.

« Mesdames et messieurs, dit-il, j’ai pris la liberté de vous inviter à revenir sous cette tente pour vous demander de sympathiser avec moi à propos d’un incident qui nous a tous un peu surpris aujourd’hui.

« Naturellement, vous savez tous que je suis un parvenu, l’artisan de ma propre fortune. »

À ces mots un grand nombre de têtes s’inclinèrent involontairement ; ces paroles avaient été prononcées d’un accent viril et il y eut dans l’assemblée un mouvement général de respect.

« Probablement aussi, reprit M. Avenel, vous savez que je suis le fils d’honnêtes commerçants. Je dis honnêtes et ils n’ont pas à rougir