Aller au contenu

Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/267

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Pour tout à fait ?

— Pour tout à fait.

— Mais vous n’avez pas encore pris votre grade, je pense ? Nous autres Etoniens, nous vous regardions comme certains d’avance du premier prix. Oh ! nous sommes tous fiers de votre réputation…. Vous avez eu tous les prix ?

— Non pas tous, mais quelques-uns. M. Egerton m’a donné le choix de rester à Oxford pour y prendre mes grades, ou d’entrer au ministère. J’ai préféré la fin aux moyens ; car, après tout, à quoi servent les honneurs universitaires, sinon à nous ouvrir une carrière ? Entrer tout d’abord dans cette carrière, c’est donc, ce me semble, épargner bien du temps.

— Ah ! vous avez toujours été ambitieux, et vous ferez du bruit quelque jour, j’en suis sûr.

— Peut-être, si je travaille. Savoir c’est pouvoir. »

Léonard tressaillit.

« Et vous ? reprit Randal en regardant avec curiosité son ancien camarade, vous n’êtes point venu à Oxford. J’ai entendu dire que vous étiez entré dans l’armée.

— Je suis dans les gardes, dit Frank s’efforçant d’énoncer ce fait sans trop de fatuité. Mon père a bien fait un peu la grimace ; il aurait préféré que j’allasse vivre là-bas avec lui pour m’occuper d’agriculture. Mais j’ai bien le temps d’en arriver là. Par Jupiter ! Randal, que la vie de Londres est donc agréable ! Allez-vous à Almack, ce soir ?

— Non. C’est aujourd’hui congé à la Chambre ! Il y a un grand dîner parlementaire chez M. Egerton. Il est au ministère en ce moment. Mais vous ne voyez pas beaucoup votre oncle, je crois ?

— Nos sociétés ne sont pas les mêmes, dit le jeune gentleman d’un ton digne de Brummell. Tous ces parlementaires sont prodigieusement ennuyeux !… Voici la pluie qui cesse. Je ne sais, d’ailleurs, si mon père serait bien content que je me présentasse à Grosvenor-Square ; mais n’oubliez pas de venir me voir. Voici ma carte pour que vous vous en souveniez ; il faudra venir dîner à notre mess…. ce sont de si bons enfants ! Je vous en prie, ne tardez pas. »

Frank s’élança sur sa selle après avoir donné au jeune garçon qui lui avait tenu son cheval une demi-couronne, récompense beaucoup plus forte que ne l’eût approuvé son père, puis un mouvement du corps et un coup d’éperon firent bondir en avant le beau coursier et le joyeux cavalier. Randal, demeuré un moment pensif, quitta bientôt le hangar, car la pluie avait complètement cessé.

Alors Hélène reprît de nouveau Léonard par la main et le conduisit à travers de petites rues obscures et sales. C’était presque une allégorie vivante que cette jeune fille triste et silencieuse conduisant cet humble et pauvre enfant de génie le long de ces boutiques malpropres, dans ces ruelles tortueuses qui devenaient de plus en plus misérables, jusqu’à ce que les deux enfants disparurent aux regards.