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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/275

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— À vous dire le vrai, je crois qu’aucun ami de M. Egerton n’est destiné à rester longtemps obscur, s’il a l’ambition de cesser de l’être ; car M. Egerton a pour maxime de ne jamais oublier ni un ami ni un service.

— Vraiment ! fit Randal surpris.

— Voilà pourquoi, continua lady Frédéric, à mesure qu’il avance dans la vie, les amis se groupent autour de lui. Il montera encore plus haut. La reconnaissance, monsieur Leslie, est une bien bonne politique.

— Hem ! » fit Leslie.

Ils étaient arrivés dans la pièce où le thé, le pain et le beurre servaient de rafraîchissements aux habitués de ce qui était alors la réunion la plus exclusivement aristocratique de Londres. Ils se placèrent dans l’embrasure d’une fenêtre, et lady Frédéric s’acquitta de la tâche de cicerone avec plaisir et vivacité. Chacune de ses remarques sur les différents personnages qui passaient devant eux comme dans un panorama, était accompagnée d’une peinture originale, assaisonnée de quelque anecdote ; elle se montrait parfois bienveillante, le plus souvent satirique ; mais son récit était toujours pittoresque et amusant.

Bientôt Frank Hazeldean s’approcha de la table où l’on prenait le thé ; il donnait le bras à une jeune fille d’une physionomie hautaine et imposante, bien que ses traits fussent délicats.

« Le nouvel officier des gardes, dit lady Frédéric. C’est un beau jeune homme qui n’est pas encore tout à fait gâté ; mais il fait partie d’une coterie dangereuse. »

Une heure plus tard, Randal, qui n’avait pas dansé, était toujours dans le salon des rafraîchissements ; mais lady Frédéric l’avait quitté depuis longtemps. Il causait avec quelques anciens élèves d’Eton, lorsqu’entra une dame d’une beauté remarquable ; à sa vue, un murmure s’éleva dans le salon.

Elle pouvait avoir de vingt-deux à vingt-quatre ans. Sa robe de velours noir tranchait sur ses épaules d’albâtre et faisait ressortir la fraîche pâleur de son teint, en même temps que l’éclat des diamants dont elle était couverte. Son épaisse chevelure était simplement nattée ; ses yeux étaient noirs et brillants, ses traits réguliers et accentués. L’expression de son visage, quand il était tranquille, n’eût pas satisfait ceux qui aiment à lire la modestie et la douceur sur la physionomie d’une femme ; mais quand elle parlait et qu’elle souriait, il y avait sur ce visage tant d’animation et de vivacité, tant de charme dans son sourire, que tout ce qui aurait pu contribuer à gâter l’effet de sa beauté disparaissait.

« Quelle est cette belle personne ? demanda Randal.

— Une Italienne… une marquise de je ne sais quoi, dit un des écoliers d’Eton.

— La marquise di Negra, dit tout bas un autre qui avait été sur le continent. C’est une veuve ; son mari appartenait à la grande famille génoise des di Negra… à la branche cadette. »