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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/283

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pendance. Lisez la biographie des poètes et voyez si leur sort vous paraît digne d’envie. »

Léonard demeura quelques instants silencieux ; mais relevant la tête, il répondit à haute voix et avec vivacité :

« J’ai lu leur biographie ! Leur sort, il est vrai, a été la pauvreté. la faim parfois. Eh bien ! monsieur, j’envie leur sort !

— La pauvreté et la faim sont des maux légers, repartit le libraire avec un affectueux sourire, mais il y en a de pires… les dettes, l’avilissement, et… le désespoir.

— Non, monsieur, non ; vous exagérez : les dettes, l’avilissement ne sont pas le lot de tous les poètes.

— Sans doute ; la plupart de nos grands poètes avaient quelques ressources personnelles. Et d’autres encore, qui ont mis aussi à la loterie, n’ont pas tous tiré des billets blancs. Mais conseillera-t-on à un homme de placer toute sa fortune sur une loterie ? Et quelle loterie ! » murmura l’éditeur en dirigeant ses regards vers les livres des auteurs défunts qui gisaient sur ses rayons.

Léonard serra de nouveau ses manuscrits sur sa poitrine et s’en alla précipitamment.

« Oui, murmurait-il pendant qu’Hélène essayait de le consoler…. oui, vous aviez raison… Londres est une très-grande ville, une ville impitoyable ; » et il laissait retomber sa tête sur sa poitrine.

Tout à coup la porte s’ouvrit, et le docteur Morgan entra sans être annoncé.

La jeune fille se retourna vers lui, et, en le voyant, se rappela son père. Alors les larmes que, par amitié pour Léonard, elle s’était efforcée de retenir, s’échappèrent en abondance.

En un instant le bon docteur eut conquis la confiance de ces deux jeunes cœurs. Après avoir écouté Léonard lui raconter l’histoire de son paradis perdu, il lui frappa doucement sur l’épaule et lui dit :

« Eh bien ! venez chez moi lundi et nous verrons ! En attendant, empruntez-moi ceci ; » et il essaya de glisser trois souverains dans la main du jeune homme. Léonard fut indigné. Le souvenir de la prédiction du libraire lui traversa l’esprit.

La mendicité ! Oh ! non, il n’en était pas encore là. Il mit une brutalité presque sauvage dans ses refus, et le docteur ne l’en aima que mieux pour cela.

« Vous êtes entêté comme un mulet, dit Thomœopathe en remettant à contre-cœur les souverains dans sa bourse. Voulez-vous vous occuper d’un travail positif et prosaïque, et laisser là quelque temps vos rêves de poésie ?

— Oui, dit Léonard avec fermeté, je veux travailler.

— À la bonne heure ! Je connais un honnête libraire qui vous donnera de l’occupation. Dans tous les cas, vous vivrez au milieu des livres, ce qui sera pour vous une consolation. »

Les yeux de Léonard étincelèrent.

« Une grande consolation, monsieur, dit-il en pressant sur son cœur reconnaissant la main qu’il avait d’abord repoussée.