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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/304

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pable d’avoir gaspillé sa vie. Il ne pouvait croire qu’un homme de génie se fût volontairement condamné à rester au bas de l’échelle sociale. Il aimait miens croire à la fatalité.

Lorsque M. Prickett termina en disant : Eh bien, je crois que l’exemple de Burley est encore plus fait pour vous guérir du désir d’être auteur que celui de Chatterton : « Peut-être, » répondit le jeune homme d’un air sombre en retournant à ses rayons.

Avec le consentement de M. Prickett, Léonard quitta son travail plus tôt qu’à l’ordinaire et, un peu avant le coucher du soleil, se dirigea vers Highgate.

On lui indiqua heureusement la route qui longe le nord du parc et il traversa ainsi une riante et verte campagne. Cette promenade, la fraîcheur de l’air, le chant des oiseaux, et par-dessus tout, la solitude, le tirèrent de ses tristes et sombres méditations. Lorsqu’il se fut engagé dans le chemin bordé de noisetiers et que tout à coup il aperçut Hélène à sa petite fenêtre, lorsqu’il vit s’illuminer le gracieux visage de celle qui épiait son arrivée, son sang circula plus vivement dans ses veines et son cœur battit de joie et de reconnaissance.


CHAPITRE LIX.

Hélène l’attira dans le jardin avec une joie enfantine. Ils allèrent s’asseoir sous le berceau parfumé et fleuri.

Elle lui ôta doucement son chapeau et le regarda avec des yeux pénétrants et humides de larmes.

Elle ne lui dit pas : « Vous êtes changé ; » elle dit : « Pourquoi vous ai-je quitté ? » puis elle détourna le visage.

« Ne vous occupez pas de moi, Hélène. Je suis un homme : j’ai été élevé rudement, mais parlez-moi de vous. Cette dame est-elle bonne ?

— Ne me permet-elle pas de vous voir ? Oh ! oui, elle est très-bonne. Tenez. »

Hélène montra les fruits et les gâteaux étalés sur la table. Voici un festin, mon frère.

Puis elle se mit à exercer l’hospitalité avec une grâce séduisante. Elle était plus enjouée que d’habitude, elle parlait beaucoup, avec un rire un peu forcé, mais toujours argentin.

Insensiblement elle parvint à tirer Léonard de sa tristesse et de sa réserve : et, bien qu’il ne lui révélât pas la cause de ses amertumes, il avoua qu’il avait beaucoup souffert. (Il ne l’eût avoué à aucun autre être humain.) Puis, assurant à l’enfant que le plus mauvais moment était passé, il chercha à la distraire en lui parlant de Burley.