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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/311

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« C’est une traduction de Boèce, les Consolations de la philosophie, par Preston.

— Il a bien l’air d’avoir besoin de toutes les consolations que peut donner la philosophie, le pauvre garçon ! »

En ce moment, un quatrième personnage s’arrêta devant la boutique, et reconnaissant le jeune lecteur à la figure pâle, il lui mit la main sur l’épaule en disant :

« Ah ! ah ! jeune homme, nous nous retrouvons donc. Eh bien ! ce pauvre Prickett est mort ? Mais vous êtes toujours attiré par vos anciennes occupations. Les livres ! les livres ! véritables aimants dont se rapprochent involontairement les esprits. Qu’est-ce que celui-ci ? Boèce ? Ah ! un livre écrit en prison, peu avant l’arrivée du seul philosophe qui révèle à l’intelligence la plus simple, les mystères de la vie.

— Et ce philosophe, quel est-il ?

— C’est la Mort ! dit Burley. Comment êtes-vous assez simple pour me faire cette question ! Le pauvre Boèce, riche, de noble naissance, consul, père d’enfants consuls, le monde entier souriant au dernier philosophe de Rome. Puis soudain, en face de ce dernier type de la sagesse de l’ancien monde, se dresse, sévère, le sombre génie du nouveau, la Force. Théodoric, l’Ostrogoth, condamne Boèce le savant, et Boèce, dans sa prison de Pavie, engage un dialogue avec l’ombre de la philosophie athénienne. C’est le plus beau tableau sur lequel les rayons dorés de l’occident projettent une dernière lueur avant que les ténèbres n’envahissent le monde.

— Et, dit M. Norreys en se mêlant tout à coup à la conversation, Boèce nous revient avec un faible reflet du retour des lumières, traduit par Alfred le Grand ; il reparaît de nouveau, lorsque le soleil de la science brille de tout son éclat, traduit par la reine Élisabeth. Enfin Boèce exerce encore son influence sur nous en ce moment et nous retient dans ce passage, et c’est là la meilleure des Consolations de la philosophie. Qu’en dites-vous, monsieur Burley ? »

M. Burley se retourna et salua.

Les deux hommes se regardèrent. Il eût été impossible d’imaginer un plus grand contraste. M. Burley dans son habit vert déjà râpé, taché et déchiré, avec sa figure trahissant de fréquentes orgies ; M. Norreys, au contraire, propre et soigné dans sa mise, avec une figure maigre et ferme, dont le regard exprimait une énergie calme et contenue.

« Si un pauvre diable comme moi, répliqua M. Burley, peut se permettre de raisonner avec un gentleman qui impose ses prix aux libraires, je dirai, monsieur Norreys, que ce n’est pas là du tout une consolation. Je serais curieux de voir l’homme qui consentirait à accepter la condition de Boèce dans sa prison avec le bourreau attendant derrière la porte, sur la promesse que plusieurs siècles après il serait traduit par des rois et des reines, et contribuerait ainsi indirectement à civiliser des barbares du Nord, bavardant sur son compte dans un passage, et coudoyés par des gens qui n’ont