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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/316

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— Ah ! dit Randal avec ce secret dédain auquel les hommes qui ont reçu une éducation très-complète sont disposés envers ceux qui cherchent à s’instruire eux-mêmes. Ah ! monsieur, la littérature est votre profession. Dans quelle école vous a-t-on inspiré pour les lettres un goût qui n’est pas très-général dans nos grandes universités ?

— Je suis à l’école maintenant pour la première fois, répondit sèchement Léonard.

— L’expérience est en effet la meilleure maîtresse, dit Burley. C’était la maxime de Goethe, qui, en bonne conscience, ne manquait pas d’érudition. »

Randal haussa légèrement les épaules, et, sans perdre son temps à s’occuper davantage de Léonard, il prit un siège et se mit à causer avec Burley d’une importante question politique qui divisait alors le parlement. Burley montra à ce sujet beaucoup de connaissances générales, et Randal, qui paraissait différer de lui, étala aussi toute sa science. La conversation dura plus d’une heure.

« Je ne puis être d’accord avec vous, dit Randal en prenant congé de Burley ; mais il faut que vous me permettiez de revenir vous voir. La même heure demain vous conviendrait-elle ?

— Oui, » répondit Burley.

Le jeune homme remonta dans son cabriolet. De la fenêtre Léonard le regarda partir.

Pendant cinq jours consécutifs Randal examina et discuta la question sous toutes ses faces, et Burley, à partir du second jour, prit intérêt à l’affaire, vit ses auteurs, se rafraîchit la mémoire et passa même une heure ou deux à la bibliothèque du muséum.

Le cinquième jour, Burley avait réellement épuisé tout ce qui pouvait se dire de son côté de la question.

Léonard, pendant ces colloques, demeurait assis à l’écart comme absorbé par sa lecture : au fond il était vivement blessé du peu d’attention que Randal faisait à sa présence. Ce jeune homme orgueilleux, tout entier à ses ambitieux projets, n’éprouvait pas même de curiosité en voyant Léonard au-dessus de son ancienne condition, et le regardait comme un scribe aux gages de Burley. Léonard avait remarqué que Randal semblait jouer un rôle et non discuter franchement et sérieusement, et qu’il se retirait toujours de l’air triomphant d’un plaideur qui a gagné sa cause. Mais notre auditeur, silencieux et inaperçu, était en même temps frappé du talent qu’avait Burley de généraliser les faits et de l’étendue incroyable de ses connaissances ; en sorte qu’au moment où Randal quitta la chambre, Léonard, regardant le littérateur déguenillé et insouciant, s’écria :

« Non, la science n’est pas le pouvoir.

— Certainement non, dit Burley ; c’est au contraire ce qu’il y a de plus faible au monde.

— La science est le pouvoir, » murmura Randal Leslie tandis qu’il s’éloignait le sourire sur les lèvres.

Quelques jours après cette dernière entrevue parut un pamphlet de