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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/338

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lier rustique conduisant à une verte pelouse entourée d’arbres plus majestueux que ceux qui se voient habituellement dans les villas des faubourgs. C’était un calme et une fraîcheur qui reposaient la vue et qui eussent fait douter du voisinage de Londres.

La porte s’ouvrit doucement et une femme entre deux âges parut. Quand elle fut près de Harley qui rêvait toujours à la fenêtre, elle lui posa la main sur l’épaule.

« Harley ! fit-elle. Celui-ci se retourna. Votre sourire ne me trompe pas, continua-t-elle tristement, vous étiez soucieux quand je suis entrée.

— Il est bien rare de rire quand on est seul, ma bonne mère, et je n’ai fait dernièrement aucune sottise qui me porte à rire de moi-même.

— Mon fils, reprit lady Lansmere, d’un ton assez ferme, bien qu’avec la plus grande tendresse ; vous êtes le descendant d’une famille illustre, et il me semble qu’au fond de leur tombe vos ancêtres se demandent comment le dernier de leur race n’a ni but, ni désir, ni intérêt, ni foyer, dans un pays qu’ils ont glorieusement servi et qui les a comblés d’honneurs !

— Ma mère, dit avec simplicité le soldat, quand mon pays a été en danger, je l’ai servi comme oui fait mes ancêtres, et pour toute réponse je n’aurais qu’à montrer les cicatrices qui couvrent ma poitrine.

— Ne doit-on servir son pays que lorsqu’il est en danger ? N’est-ce donc que pendant la guerre qu’on a des devoirs à remplir ? Croyez-vous que votre père, dans sa vie simple et digne de grand propriétaire, ne remplisse pas, bien que d’une façon obscure, le but dans lequel a été créée l’aristocratie, dans lequel a été donnée la richesse ?

— Certainement si, ma mère, et mieux peut-être que ne le fera jamais son vagabond de fils.

— Et cependant ce vagabond de fils a été bien richement doué par la nature ! Son enfance promettait tout ! Sa jeunesse nourrissait de glorieuses espérances !

— Ah ! dit Harley avec douceur, c’est vrai, mais tout a été enseveli dans un tombeau ! »

La comtesse tressaillit et retira sa main de l’épaule d’Harley.

— Enseveli dans un tombeau, répéta-t-elle après un long silence, mais vous n’étiez qu’un enfant, Harley ! Ce souvenir peut-il vous attrister encore ? Est-ce bien possible ?… Cela me paraît invraisemblable au milieu des réalités et du mouvement de la vie d’un homme, quoique cela puisse arriver dans la vie d’une femme.

— Je crois, dit Harley comme se parlant à lui-même, que j’ai quelque chose de la nature féminine. Peut-être que les hommes qui vivent beaucoup seuls et qui ne s’occupent pas de ce qui intéresse les autres hommes conservent des impressions durables comme le fait votre sexe. Mais, s’écria-t-il à haute voix en changeant tout à coup de physionomie, le cœur le plus froid, le plus dur, aurait-il