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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/352

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sa science et sa confiance en ses propres talents, il ne pouvait le mépriser parce qu’il n’avait pas encore réussi à faire de lui un instrument, un marchepied ; il le haïssait parce qu’il pensait que l’œil pénétrant d’Egerton lisait dans son cœur artificieux, même alors que ce ministre, avec un air de profond dédain, daignait venir en aide à son protégé. Mais ce dernier soupçon était mal fondé : Egerton n’avait pas pénétré la nature corrompue et perfide de Leslie. Il avait sans doute d’autres raisons de le tenir à une certaine distance, mais il approfondissait trop peu les sentiments de Randal pour mettre en question son attachement ou pour douter de la sincérité d’un homme qui lui devait tout. Mais ce qui surtout inspirait à Randal des sentiments d’amertume envers Egerton, c’était la franchise résolue avec laquelle ce dernier l’avait plusieurs fois averti de ne point compter sur son héritage. À qui donc Egerton voulait-il léguer sa fortune ? À qui, si ce n’est à Frank Hazeldean ? Et cependant Audley s’occupait si peu de son neveu, Frank paraissait lui être si indifférent, que cette supposition, bien que naturelle, était peu vraisemblable. L’esprit astucieux de Randal était aux abois. Cependant, moins il comptait sur la fortune d’Egerton, plus il songeait aux chances qui pouvaient priver Frank de l’héritage d’Hazeldean, d’une partie, au moins, sinon du tout. Tout homme moins intrigant, moins rusé, moins éhonté que Randal Leslie, eût regardé un semblable projet comme la plus extravagante des illusions. Mais il y avait quelque chose d’effrayant dans la manière dont ce jeune homme cherchait à convertir sa science en pouvoir, et à étudier tous les côtés faibles de ceux qu’il voulait faire servir à ses fins. Il s’insinua dans la confiance de Frank. Il apprit par lui toutes les particularités des idées, du caractère du squire ; il pesa chaque mot des lettres du père, que le fils s’habitua insensiblement à lui communiquer. Randal s’aperçut que le squire avait deux idées dominantes assez ordinaires aux propriétaires et dont on pouvait faire les antagonistes de la profonde tendresse qu’il portait à son fils. D’abord le squire avait pour son domaine l’affection qu’il eût eue pour un être vivant, et chaque fois qu’il reprochait à Frank son extravagance, il laissait apparaître ce faible : « Que deviendra mon domaine, s’il tombe entre les mains d’un dissipateur ? Il faut que Frank sache bien que je n’entends pas cela, » etc., etc. Secondement, le squire non-seulement aimait passionnément sa terre, mais encore il en était jaloux ; de cette jalousie que les pères les plus tendres éprouvent parfois envers leurs héritiers naturels. Il ne pouvait supporter la pensée que Frank comptât sur sa mort ; et rarement il terminait une lettre de morale sans lui répéter que la terre d’Hazeldean était bien à lui, qu’il en pouvait faire ce que bon lui semblerait pendant sa vie, comme après sa mort. Des menaces de cette nature étaient plus propres à blesser Frank et à l’irriter, qu’à l’intimider ; car le jeune homme, naturellement fier, avait des sentiments élevés, et quand on lui supposait des vues intéressées, il s’abandonnait à des folies qui laissaient voir que ce moyen était de tous le moins propre à réussir auprès de lui. Grâce à ces remarques sur le caractère du père et du fils, Randal crut entrevoir