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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/355

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— Je voudrais seulement vous voir consolé, s’écria Egerton avec ardeur.

— Je veux m’y efforcer, mais avec des remèdes plus doux que les vôtres. Je vous disais que mon aventure pourrait avoir de l’influence sur mon avenir : elle m’a fait faire connaissance non-seulement avec le jeune homme dont je parle, mais avec l’enfant la plus affectueuse, la plus séduisante du monde… avec une jeune fille…

— Est-ce aussi une Avenel ?

— Non ; elle est d’un noble sang : c’est la fille d’un soldat, la fille de ce capitaine Digby, pour lequel je vous avais demandé votre protection. Il est mort en prononçant mon nom. Il a voulu sans doute que je fusse le tuteur de son enfant. Je le serai. J’aurai au moins un intérêt dans la vie.

— Mais songez-vous sérieusement à emmener cette enfant avec vous à l’étranger ?

— Oui, sérieusement.

— Et à la loger chez vous ?

— Pendant un an ou deux, tant qu’elle sera enfant. Puis, quand elle approchera de la jeunesse, je la placerai autre part.

— Vous pourrez devenir amoureux d’elle. Est-il certain qu’elle vous aimera ? Ne prendrez-vous pas de la reconnaissance pour de l’amour. C’est une épreuve très-dangereuse.

— Ainsi il en fut de celle de Guillaume le Normand jusqu’à ce qu’il fût devenu Guillaume le Conquérant. Vous m’invitez à sortir du passé et à me consoler ; mais vous me rendriez incapable d’avancer, comme le mulet dans le conte de Slaw-Kenberguis avec vos maudites objections. Écoutez, continua Harley se laissant aller à corps perdu à un de ses mouvements de folle et originale gaieté. Un des fils des prophètes d’Israël coupait du bois près du Jourdain, sa cognée quitta le manche et tomba au fond de l’eau ; il fit une prière pour la ravoir (notez que ce n’était qu’une fort petite demande), et comme il avait une foi énergique, il ne jeta pas le manche après la cognée. Alors on vit un grand miracle : la cognée sortit du fond de l’eau et s’attacha au manche, sa vieille connaissance. Mais s’il avait désiré monter au ciel sur un chariot de feu comme Élie, ou bien d’être riche comme Job, fort comme Samson et beau comme Absalon, aurait-il, croyez-vous, obtenu ce qu’il désirait ? En vérité, mon ami, c’est pour moi très-douteux.

— Je ne comprends pas ce que vous voulez dire. Quelles sornettes me contez-vous là ?

— Je n’y puis rien ; la faute en est à Rabelais. Je le cite, et ce que je viens de dire se trouve dans son prologue au chapitre de la modération des désirs. Et à propos de souhaits modérés, moi-même je vous prie de considérer que je ne demande que peu de chose au ciel. Je demande l’autre moitié de ce qui est englouti dans le fond de l’abîme.

— En bon anglais, dit Audley Egerton, vous demandez… Il s’arrêta court ; il était embarrassé.