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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/374

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volontés, je cherchai un refuge en France. Voilà ma réponse et la vérité.

Le comte ôta ses mains de l’épaule sur laquelle elles s’étaient si cordialement pesées.

« Voilà donc, dit-il, votre sagesse et votre gratitude, vous dont les traits sont l’image des miens… vous qui ne vivez que de mes générosités… vous qui…

— Arrêtes ! s’écria la marquise, à qui l’indignation donnait un moment le courage de la révolte. Arrêtez ! Que parlez-vous de gratitude et de générosité ? Mon frère ! mon frère ! Que vous dois-je donc ? La honte et le malheur de ma vie. Lorsque je n’étais encore qu’une enfant, vous m’avez condamnée à me marier malgré ma volonté, malgré mon cœur, malgré mes prières ; vous vous êtes ri de mes larmes quand je vous demandais grâce à genoux. J’étais pure alors, Giulio, pure et innocente comme les fleurs de ma couronne virginale. Et maintenant… maintenant… »

Béatrix s’arrêta et cacha son visage dans ses mains.

« Maintenant vous venez me reprocher, dit le comte, que la colère de sa sœur avait laissé impassible, de vous avoir donnée en mariage à un homme jeune et noble.

— Oui, mais vieux dans le vice, et à l’âme vile et basse ! Ce mariage, je vous le pardonnai. Vous aviez le droit, suivant la coutume de notre pays, de disposer de ma main, mais je ne vous pardonnai pas les consolations que vous vîntes murmurer à l’oreille d’une épouse malheureuse et insultée.

— Excusez mon observation, dit le comte en s’inclinant avec courtoisie, mais ces consolations aussi étaient dans les coutumes de notre pays, et je ne sache pas d’ailleurs que vous les ayez complètement dédaignées. En outre, continua le comte, vous ne fûtes pas épouse assez longtemps pour souffrir encore des traces de votre chaîne. Vous restâtes bientôt veuve, sans enfants, libre, jeune et belle.

— Et sans aucunes ressources.

— Il est vrai. Di Nigra était joueur, et joueur malheureux ; était-ce ma faute ? Pouvais-je lui ôter les cartes des mains ou lui apprendre la manière de les jouer ?

— Et ma propre fortune ? Ô Giulio ! je ne compris qu’à sa mort pourquoi vous m’aviez condamnée à épouser ce renégat génois. Il vous devait de l’argent, et au mépris de l’honneur, et je crois aussi de la loi, vous aviez accepté ma fortune en payement de sa dette.

— Il n’avait aucun autre moyen de s’acquitter, et il faut qu’une dette d’honneur soit payée. Ce sont là d’ailleurs de vieilles histoires. Qu’importe ? Ma bourse depuis lors ne vous a-t-elle pas toujours été ouverte ?

— Ouverte, non comme à votre sœur, mais comme à votre espion, à votre instrument ! Oui, votre bourse m’a été ouverte, mais par une main avare.

— Un peu de conscience, ma chère, vous êtes si prodigue, si déraisonnable ! Mais voyons, parlez clairement, que voulez-vous ?