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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/378

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Car, en dépit de ce qu’on murmurait tout bas à son désavantage, la marquise avait réussi à triompher de la froideur avec laquelle on l’avait d’abord accueillie dans les cercles de Londres. Sa beauté, sa grâce, sa haute naissance l’avaient mise à la mode, et les hommages d’hommes du plus haut rang, nuisibles peut-être à sa réputation de femme, augmentaient sa célébrité de grande dame. Tant il est vrai que nous autres Anglais, malgré notre pruderie, nous pardonnons facilement aux étrangers ce que nous blâmons sévèrement chez nos compatriotes.

Passant enfin de ces sujets de conversation générale à des compliments de bon goût, et rapportant divers éloges que lord… et le duc de… avaient fait des charmes de la marquise, Randal posa sa main sur le bras de celle-ci avec la familiarité d’un ancien ami en disant :

« Mais puisque vous avez daigné vous confier à moi ; puisque, heureusement pour moi (et avec une générosité dont une coquette n’eût jamais été capable), vous avez arrêté l’essor de sentiments qui autrement fussent devenus ceux que vous êtes née pour inspirer et que vous dédaignez de ressentir, en me disant avec votre divin sourire : « Que personne ne me parle d’amour sans m’offrir sa main et avec elle le moyen de satisfaire des goûts qui, je le crains, sont follement prodigues. » Puisque vous m’avez ainsi permis de deviner le but bien naturel de vos désirs, et que notre intimité est basée sur cette confiance, permettez-moi de vous le dire, l’admiration que vous excitez parmi ces grands seigneurs ne peut que vous éloigner de votre but en intimidant des admirateurs moins brillants mais plus sérieux. La plupart de ces messieurs malheureusement sont mariés, et ceux qui ne le sont pas font partie de ces membres de notre aristocratie qui dans un mariage recherchent autre chose que l’esprit et la beauté, à savoir : des alliances propres à renforcer leur importance politique, ou une grande fortune pour dégager un domaine hypothéqué et soutenir un titre.

— Mon cher monsieur Leslie, reprit la marquise (et ici sa voix et ses regards exprimaient une certaine tristesse), j’ai vécu assez longtemps dans le monde pour comprendre la bassesse et la fausseté des sentiments qui se parent des plus beaux noms. Je lis dans le cœur des admirateurs dont vous me parlez et je sais que pas un d’eux ne voudrait couvrir de son hermine la femme à laquelle il offre son cœur. Ah ! continua Béatrix avec une douceur dont elle n’avait pas conscience mais qui eût été extrêmement dangereuse pour un jeune homme moins cuirassé que ne l’était Randal Leslie : ah ! je suis moins ambitieuse que vous ne le pensez. Ce que je rêve, ce serait un ami, un compagnon, un protecteur dont l’âme fût encore noble, candide, qui ne se serait point avili dans des dissipations vulgaires et de grossiers plaisirs, dont le cœur serait si pur qu’il ramènerait le mien à son heureux printemps. J’ai été témoin dans ce pays d’unions dont la seule pensée remplissait mes yeux de larmes délicieuses. J’ai appris en Angleterre à connaître le charme du foyer, du chez soi. Ah !