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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/393

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vivantes destinées à servir ma pensée. Venez encore une fois à mon secours, grandeurs passées, donnez-moi des forces et du courage pour le combat de l’Avenir ! » Ses lèvres pâles se contractaient pendant qu’il s’abandonnait à ces pensées, car sa conscience parlait, et cette voix de la conscience se fait entendre plus clairement au milieu des scènes rurales, que parmi le tourbillon et le bruit de ce camp toujours sous les armes qu’on appelle une grande ville.

Bien que l’ambition puisse avoir un but meilleur et plus noble que la restauration d’un nom et d’une famille, c’est là cependant une fin digne d’intérêt et de sympathie. Mais tous les sentiments, toutes les intentions d’un caractère élevé semblaient s’être dégagés de tout l’or qu’ils contenaient en passant au creuset de l’intelligence de Randal, pour en sortir transformés en un égoïsme pur et sans alliage. Néanmoins, c’est une vérité étrange, mais incontestable, qu’un homme d’un esprit cultivé, quelque vicieux et perverti qu’il soit, conserve des lueurs de sentiments nobles, des perceptions irrégulières de beauté morale, refusées au vice brutal et ignorant, et qui sont peut-être destinées à lui servir de châtiment, si comme dit le poète : « Personne n’est plus malheureux que celui qui connaît la vertu, et embrasse le vice. »

Tandis que l’ambitieux solitaire avançait lentement et que le souvenir de son enfance innocente, du moins de fait, lui apparaissait entourée de l’auréole des rêves passés, rêves bien plus purs que ceux qu’il secouait maintenant chaque matin pour reprendre l’activité de l’homme fait, une mélancolie profonde s’empara de lui et il s’écria à voix haute : « J’aspirais alors à la renommée et à la grandeur, comment se fait-il que maintenant, à mesure que j’avance dans la carrière, tout ce qui me semblait élevé dans le but, ait disparu à mes yeux et que les moyens que je me propose, soient de ceux qui dans mon enfance m’eussent paru vils et mesquins ? Oh ! c’est qu’alors je ne connaissais que les livres, tandis qu’aujourd’hui j’ai appris à connaître les hommes, et cette science souille bien davantage que celle des livres. Mais, continua-t-il plus bas, comme discutant avec lui-même, si le pouvoir ne peut être acquis qu’à ce prix (et à quoi bon la science si elle ne donne pas le pouvoir ?), la fin ne justifie-t-elle par les moyens ? Quel cas fait-on du sage qui échoue ? » Randal continuait son chemin, mais la calme beauté de la campagne semblait protester contre ces pensées. Il y a des heures où la nature, comme un bain de Jouvence, semble rendre à l’âme fatiguée toute sa fraîcheur, de ces heures d’où quelques-uns sont sortis des hommes nouveaux. Les grandes crises de la vie sont silencieuses. Soudain le pays se découvrit aux yeux de Randal, le pré communal nu et stérile, l’église en ruines, la vieille maison qu’on apercevait sortant à demi du creux humide, dans lequel elle semblait à Randal s’être enfoncée plus profondément encore, depuis qu’il ne l’avait vue. Quelques jeunes gens jouaient au hockey sur le pré. Randal s’appuya sur la barrière et regarda le jeu, car parmi les joueurs il avait reconnu son jeune frère Olivier. Bientôt la balle