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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/397

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Rendons justice à M. Leslie, c’était bien rarement qu’il exprimait un souhait entaché d’avarice. Il fallait que son esprit fût singulièrement excité pour s’aventurer ainsi en dehors de ses limites normales d’indolente et triste résignation.

Randal le regarda donc avec surprise et dit :

« Vous voudriez une somme d’argent, mon père ; et pourquoi faire ?

— Les manoirs de Rood et de Dalmansberry, ainsi que toutes les terres qui ont été vendues par mon grand-père, vont l’être de nouveau lorsque le fils aîné du squire Thornhill sera majeur. Sir John Spralt parle de les acheter. J’aurais aimé à pouvoir les reprendre. C’est une honte de voir les terres des Leslie mises à l’encan et achetées par des Spratt et autres gens de cette espèce. Oui, je voudrais avoir une grosse, grosse somme d’argent comptant. »

Le pauvre gentilhomme étendait en parlant ses mains impuissantes ; il retomba bientôt dans une rêverie pleine de tristesse.

Randal s’élança de la palissade avec une vivacité qui effraya les cochons contemplatifs, et s’écria :

« Quand le jeune Thornhill sera-t-il majeur ?

— Il a eu dix-neuf ans au mois d’août dernier ; je me le rappelle, parce que c’est le jour de sa naissance que j’ai trouvé le squelette fossile du cheval marin, tout près de l’église de Dalmansberry, pendant qu’on sonnait les cloches en réjouissance. Mon cheval fossile… cela sera un héritage de famille, Randal.

— Encore deux ans, près de deux ans ! Ah ! » fit Randal ; et sa sœur, arrivant en cet instant pour le prévenir que le thé était prêt, il lui passa ses bras autour du cou et l’embrassa. Juliette avait arrangé ses cheveux et mis une robe fraîche. Elle était fort jolie et avait maintenant l’air d’une femme bien née.

« Prends patience, chère petite sœur, et tâche de garder ton cœur encore deux ans. »

Le jeune homme se montra gai et de bonne humeur en faisant ce frugal repas avec toute sa famille groupée autour de lui. Lorsqu’il eut fini, M. Leslie alluma sa pipe et demanda son grog. Mistress Leslie se mit à questionner son fils au sujet de Londres et de la cour, du nouveau roi, de la nouvelle reine, de M. Egerton, et exprima l’espoir que celui-ci laisserait à Randal tout son argent ; que Randal épouserait une femme très-riche, et que le roi le ferait quelque jour premier ministre. Et alors, elle voudrait bien voir si le fermier Jones refuserait son wagon pour amener du charbon à Rood !

Tel était le foyer où s’était réchauffée la vipère qui rongeait aujourd’hui le cœur de Randal, y empoisonnant toutes les pures aspirations de la jeunesse.