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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/415

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Étudiait-elle quelque histoire aride et monotone, son imagination y découvrait des beautés que les autres lecteurs avaient laissées passer inaperçues, et, semblable à l’œil de l’artiste, distinguait partout le pittoresque. Son esprit semblait rejeter naturellement tout ce qui était bas et vulgaire, et s’approprier, sans effort, ce qui était beau et élevé. Elle avait vécu si isolée de toutes les jeunes filles de son âge qu’à peine appartenait-elle au temps présent. Elle demeurait dans le passé comme Sabrina dans son puits de cristal.

Les souvenirs de la chevalerie, les images du beau et de l’héroïque, telles qu’elles surgissent en nous à la lecture des lignes harmonieuses du Tasse, de ces vers où la force et la valeur sont célébrées en même temps que l’amour et la foi, nourrissaient les rêveries de la belle fille italienne.

Qu’on ne nous dise pas que le passé, examiné avec une froide philosophie, n’était, après tout, ni meilleur ni plus grand que le présent ; ce n’est pas ainsi que l’envisagent les cœurs purs et généreux. Périsse le passé, s’il doit cesser de réfléchir dans son magique miroir ce bel idéal qui est sa plus noble réalité, bien qu’il ne soit peut-être que l’illusion d’une ombre !

Mais Violante ne se contentait pas de rêver au passé ; la vie en elle était si riche et si puissante que l’action était nécessaire à son glorieux développement ; mais l’action telle qu’elle convient à une femme, l’action qui consiste à bénir, ennoblir, élever tout ce qui l’entoure, et à dépenser son ambition en sympathie avec les aspirations de l’homme. En dépit des craintes qu’il inspirait à son père, l’air froid et piquant de l’Angleterre avait renforcé la santé de Violante, si délicate dans son enfance ; son pas élastique, ses yeux pleins de douceur et d’éclat, la fraîcheur de ses joues, tout en elle annonçait des forces vitales propres à soutenir un esprit vigoureux d’une nature exquise, et les émotions d’un cœur qui, une fois éveillé, ennoblirait les passions ardentes du Midi par la pureté et le dévouement du Nord.

La solitude rend certaines natures timides, tandis qu’elle en enhardit d’autres. Violante était intrépide ; lorsqu’elle parlait, son regard rencontrait franchement le vôtre, et elle était si ignorante du mal, qu’elle semblait presque ignorer aussi la honte. De ce courage, joint à une grande affluence d’idées, naissait une conversation vive et délicieuse. Bien qu’étrangère aux talents que possèdent ordinairement les jeunes personnes, talents qui peuvent être cultivés à un haut degré, tout en laissant la pensée stérile, la conversation vide et insignifiante, elle avait le don qui plaît le plus à un homme de talent, (surtout lorsque ce talent n’est pas employé si activement qu’il ne désire que le repos, là où il doit chercher la sympathie), le don d’échanger facilement ses idées, le charme qui revêt de paroles harmonieuses les nobles pensées d’une femme.

« Je l’entends soupirer d’ici, dit doucement Violante qui regardait toujours son père, et je crois qu’il s’agit de quelque nouveau chagrin, non plus du regret de son pays. Il a parlé deux fois hier de ce cher ami anglais, en souhaitant qu’il fût ici. »