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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/418

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que cela prouve ? De cattiva donna guardati, ed alla buona non fidar niente ; et s’il faut lui confier quelque chose, ajouta l’abominable homme, confiez-lui tout plutôt qu’un secret.

— Fi donc ! dit Violante en souriant à demi ; car elle connaissait trop bien l’humeur du docteur pour interpréter littéralement ses odieuses maximes. Vous n’êtes guère conséquent, padre carissimo ; ne me confiez-vous pas votre secret ?

— À toi ! Mais une enfant n’est pas une femme. En outre, mon secret t’était déjà connu et je n’avais pas le choix. Sois tranquille, Jemima restera ici pour l’instant. Vois ce que tu désires emporter ; nous partons ce soir. »

Sans attendre de réponse, Riccabocca quitta sa fille à la hâte, et bientôt en entendit son pas ferme sur la terrasse ; il s’approchait de sa femme.

« Anima mia, dit l’élève de Machiavel déguisant sous les plus tendres paroles les intentions les plus cruelles ; car un de ses plus chers proverbes disait qu’il est impossible de faire marcher une mule ou une femme sans la flatter et la caresser ; anima mia, vous avez sans doute remarqué que Violante s’ennuie ici à mourir ?

— Elle ? la pauvre enfant ! Non, mon ami.

— Il en est cependant ainsi, mon tendre cœur. Elle s’ennuie et elle est aussi ignorante de la musique que moi du point à jour.

— Elle chante à ravir.

— Elle chante comme les oiseaux, contre toutes les règles et en dépit de la gamme. Donc, pour en venir au but, trésor de mon âme, je vais l’emmener avec moi passer quelques jours soit à Cheltenham, soit à Brighton. Nous verrons.

— Avec vous, tous les endroits me seront agréables, cher Alphonse. Quand partirons-nous ?

— Nous partirons ce soir ; mais bien qu’il me soit terrible de vous quitter… »

— Ah ! » interrompit Jemima, et elle se couvrit la figure de son mouchoir.

Riccabocca, le plus rusé et le plus impitoyable des hommes dans ses maximes, demeura stupéfait et sans force à la vue de cette muette douleur. Il passa le bras autour de la taille de sa femme avec une affection sincère et sans avoir dans le cœur un seul proverbe. « Carissima, ne vous affligez pas ainsi ; nous reviendrons bientôt ; les voyages sont dispendieux ; pierre qui roule n’amasse pas mousse, et vous avez ici bien des choses à surveiller. »

Mistress Riccabocca se dégagea doucement du bras de son mari ; elle ôta ses mains de son visage et essuya ses larmes.

« Alphonse, dit-elle avec une expression touchante, écoutez-moi. Ce que vous trouverez bon me semblera toujours tel ; mais ne croyez pas que je m’afflige uniquement à cause de votre départ. Non ; ce qui me chagrine, c’est la pensée que depuis tant d’années que je suis la compagne de votre foyer et que je dors sur votre poitrine, années pendant lesquelles je n’ai eu qu’une pensée, celle de remplir hum-