Aller au contenu

Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/425

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Vous n’êtes ni raisonnable, ni complimenteur, dit-il, néanmoins vous aurez l’argent. Mais ne feriez-vous pas mieux de l’emprunter sans intérêt à votre ami L’Estrange ? »

Egerton tressaillit comme s’il eût été piqué par un reptile.

« Vous voulus m’insulter, monsieur, s’écria-t-il avec colère, moi, accepter un service pécuniaire de lord L’Estrange ! moi !

— Bast ! je suis convaincu, mon cher Egerton, que milord penserait maintenant bien différemment au sujet de…

— Silence ! s’écria Egerton, silence ! vous dis-je. »

Puis il arpenta la chambre en murmurant : « Rougir devant cet homme ! Quel châtiment ! »

Lévy contemplait l’homme d’État d’un regard dur et sinistre. Celui-ci se retourna brusquement.

« Vous me haïssez, Lévy, dit-il avec un calme forcé, vous me haïssez ; pourquoi ? Je l’ignore.

— Moi, vous haïr ! Mais quand donc vous ai-je montré de la haine ? Eussiez-vous jamais habité ce palais et gouverné votre pays sans mon concours, sans mes insinuations à la riche miss Leslie ? Allons donc ! Mais sans moi vous n’eussiez été qu’un mendiant.

— Que serai-je bientôt, si je vis ? Et cette fortune que mon mariage m’a apportée, n’est-elle pas en grande partie passée entre vos mains ? Patience, vous l’aurez bientôt tout entière. Mais il y a au monde un homme qui m’a aimé depuis son enfance, malheur à vous s’il apprend jamais qu’il a le droit de me mépriser !

— Egerton, mon ami, dit Lévy avec un calme parfait, il est inutile de me menacer ; quel intérêt puis-je avoir à instruire lord L’Estrange ? Encore une fois, chassez de votre esprit l’absurde pensée que je puisse vous haïr. À la vérité vous me maltraitez en particulier, vous me tournez le dos en public, vous refusez d’accepter mes dîners, et vous ne m’invitez pas aux vôtres, cependant je n’aime et je ne sers personne plus volontiers que vous. Quand vous faut-il ces cinq mille livres ?

— Peut-être dans un mois ; peut-être seulement dans trois ou quatre. Tenez les toutes prêtes.

— Cela suffit. Comptez sur moi. Avez-vous d’autres ordres à me donner ?

— Aucun.

— Je vais alors me retirer. À propos, combien pensez-vous que rapporte net le domaine d’Hazeldean ?

— Je n’en sais rien et je ne m’en soucie guère. Vous n’avez pas, j’espère, de desseins sur celui-là ?

— J’aime à avoir pour clients les gens d’une même famille. M. Frank me paraît un jeune homme généreux, libéral. »

Avant qu’Egerton eût pu lui répondre, le baron s’était glissé jusqu’à la porte, d’où faisant au ministre un signe d’adieu familier, il disparut.

Egerton resta debout devant son foyer solitaire. Sa chambre était d’un aspect triste et glacé malgré ses plafonds sculptés et la pompe