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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/50

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ce qui est bien certain, c’est que chaque fois que le curé gagnait sept demi-shillings, une demi-couronne, dont personne ne pouvait dire la provenance, s’en allait dans le tronc des pauvres ; quant au dernier tiers, le curé, il est vrai, se l’appropriait ostensiblement ; mais je suis bien certain qu’au bout de l’année il allait retrouver les pauvres aussi sûrement que s’il y avait été mis dans le tronc.

La société s’était alors réunie autour du plateau et chacun offrait à l’autre de l’eau et du vin, ou du vin sans eau, excepté Frank qui restait penché sur la carte du comté, la tête appuyée sur ses mains et les doigts enfoncés dans ses cheveux.

« Frank, dit M. Hazeldean, je ne t’ai jamais vu si studieux. »

Frank se releva vivement et rougit comme s’il eût été honteux d’être accusé de montrer trop d’application à quoi que ce fût.

Le Squire (d’une voix légèrement altérée). Je vous prie, Frank, que savez-vous de Randal Leslie ?

— Mais, monsieur, il est à Eton.

— Quelle espèce de jeune homme est-ce ? » demanda mistress Hazeldean.

Frank hésita, comme pour réfléchir, et répondit : « Il passe pour le premier élève de l’école ; mais aussi il est obligé de piocher ferme.

En d’autres termes, dit M. Dale avec la gravité convenable à un ministre, il comprend qu’il a été envoyé à l’école pour étudier et il étudie. Mais qui est donc ce Randal Leslie pour vous intéresser si fort, squire ?

— Qui il est ? répéta le squire d’une voix sourde. Vous savez que M. Audley Egerton a épousé miss Leslie, la riche héritière ; ce jeune homme est un de ses parents. Je puis même dire, ajouta le squire, que c’est aussi un des miens, car sa grand’mère était une Hazeldean. Tout ce que je sais des Leslie, c’est que M. Egerton, n’ayant pas eu d’enfants, a, m’a-t-on dit, adopté le jeune Randal, à la mort de sa femme ; paye sa pension, et je suppose qu’il lui laissera sa fortune. Il n’y a rien à dire à cela. Frank et moi n’avons, Dieu merci, nullement besoin de M. Egerton.

— Je crois volontiers à la générosité de votre frère envers les parents de sa femme, dit le curé avec une brusque franchise. Je suis sûr que M. Egerton est un homme qui a de nobles sentiments.

— Que diable savez-vous de M. Egerton ? Je ne pense pas que vous lui ayez jamais parlé.

— Si, dit le curé en rougissant avec embarras. J’ai eu occasion de m’entretenir avec lui une fois ; » puis, remarquant la surprise du squire, il ajouta : « Quand j’étais curé à Lansmere, il s’agissait d’une affaire assez triste concernant la famille d’un de mes paroissiens.

— Oh ! un de vos paroissiens de Lansmere ! un des électeurs que M. Audley Egerton a si bien mis de côté après toute la peine que je m’étais donnée pour le faire nommer. Il est vraiment singulier que vous ne m’ayez jamais parlé de cela, monsieur Dale !

— Mon cher monsieur, dit le curé en baissant un peu la voix, vous vous fâchez si facilement quand on prononce le nom de M. Egerton !