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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/75

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d’un certain âge, aux figures heureuses et florissantes, venant néanmoins exposer leurs doléances. Ils regardaient leurs intérêts et ceux du pays comme gravement compromis par certaine clause ajoutée à un bill par M. Egerton.

Le maire de la ville était le principal orateur, et il parlait bien, mais dans un style auquel n’était pas habitué le haut fonctionnaire ; un style sans gêne, libre et facile, en un mot, complètement américain. On sentait même, dans les allures du maire, l’homme qui a longtemps résidé dans la grande république. C’était un bel homme, au regard perçant et dominateur ; le regard d’un homme qui se moque d’un président ou d’un monarque, et qui est accoutumé à dire librement sa façon de penser et à rosser son nègre quand bon lui semble.

Ses concitoyens avaient évidemment pour lui le plus profond respect, et M. Egerton avait assez de pénétration pour deviner qu’il fallait que M. le maire fût riche aussi bien qu’éloquent pour avoir pu triompher des impressions de susceptibilité et de jalousie que son ton avait dû exciter chez ses égaux.

M. Egerton était trop sage pour se sentir blessé par des manières un peu cavalières, et bien qu’il se redressât avec quelque roideur en voyant ses remarques dédaignées, il se laissa convaincre. Les arguments de M. le maire étaient pleins de sens et de justice, et l’homme d’État promit poliment de les prendre en sérieuse considération.

Il salua la députation ; mais à peine avait-il fermé la porte qu’elle se rouvrit de nouveau devant M. le maire, qui se présenta seul en disant à ses compagnons : « J’ai oublié certaine chose que j’avais à dire à M. Egerton ; attendez-moi en bas.

— Eh bien, monsieur le maire ! dit Audley en indiquant un siège, qu’avez-vous à me dire ? »

Le maire regarda autour de lui pour s’assurer que la porte était bien fermée, puis, rapprochant sa chaise de celle de M. Egerton, il posa son doigt sur le bras de ce gentleman en disant : « Je crois parler à un homme qui connaît le monde, monsieur ? »

M. Egerton salua sans répondre, mais il écarta doucement la main de son interlocuteur.

M. le maire. Vous remarquez, monsieur, que je n’ai pas demandé aux membres que nous envoyons au parlement de nous accompagner. Vous savez que tous deux sont de l’opposition la plus prononcée.

M. Egerton. C’est un malheur que le gouvernement ne peut se rappeler quand il s’agit de servir ou de ruiner le commerce d’une ville.

M. le maire. Vous parlez fort bien, monsieur. Mais vous ne seriez pas fâché d’avoir deux membres de plus pour soutenir les ministres dans la prochaine session.

M. Egerton (souriant). Incontestablement, monsieur le maire.

M. le maire. Cela dépend de moi, monsieur Egerton. J’ose dire que je tiens toute la ville entre mes mains. Et c’est bien juste, car j’ai