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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/166

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sur le front. Mais tandis qu’elle s’approchait en lui parlant doucement, Burley se souleva sur son coude et écartant de la main la compresse : « Je n’en ai pas besoin, dit-il d’une voix calme, je vais mieux maintenant. Cette lumière et moi, nous nous entendons, et je crois tout ce qu’elle me dit. Ne craignez rien, je ne divague pas. » Et il regarda son hôtesse en souriant si affectueusement que la pauvre femme, qui l’aimait comme un fils, ne put retenir ses larmes. Il l’attira vers lui et la baisa au front. « Calmez-vous, folle que vous êtes, lui dit-il avec affection. Vous conterez aux pêcheurs qui viendront chez vous comment John Burley y est venu pour pêcher une perche à un œil qu’il n’a jamais pu attraper, et comment lorsqu’il finit par y renoncer, n’ayant plus d’amorces et sa ligue s’étant brisée dans les roseaux, vous avez consolé le pauvre diable. Il y a de par le monde plus d’un brave garçon qui sera bien aise d’apprendre que John Burley n’est pas mort à l’hôpital. Embrassez-moi, vous aussi, Léonard. Que Dieu vous bénisse tous deux ! et maintenant je voudrais dormir. » Ses joues étaient mouillées des larmes de ses deux amis, et ses yeux humides et brillants. Il retomba sur sa couche, et mistress Goodyer voulant ôter la lumière il s’agita et murmura : « Laissez-moi la lumière jusqu’à la fin, » et, étendant le bras, il tira le rideau de façon à ce que la lumière tombât en plein sur son visage. Au bout de quelques minutes il dormait du sommeil calme et régulier d’un enfant.

La vieille femme s’essuya les yeux et attira Léonard dans la chambre voisine, où elle lui avait préparé un lit. Il n’avait pas quitté la maison depuis qu’il y était entré avec le docteur Morgan. « Vous êtes jeune, monsieur, dit l’hôtesse, et la jeunesse a besoin de sommeil. Couchez-vous un peu et je vous appellerai lorsqu’il s’éveillera.

— Non, je ne pourrais dormir, dit Léonard. Je vais veiller à votre place. »

L’hôtesse secoua la tête. « Je veux le garder jusqu’au bout, monsieur, dit-elle, mais je crains qu’il ne se fâche, lorsqu’il se réveillera, car il est devenu très-soigneux des autres.

— Ah ! s’il eût été aussi soigneux de lui-même ! » murmura Léonard, puis il s’assit près de la table, et en y posant le coude, fit tomber à terre quelques papiers.

Il tressaillit au bruit. « Qu’est-ce que cela ? » dit-il. L’hôtesse ramassa les manuscrits et les remit en ordre.

« Ah ! monsieur, c’est lui qui m’a dit de mettre là ces papiers. Il a pensé que cela vous empêcherait de vous désoler à son sujet, si vous passiez la nuit à veiller. Et puis il songeait aussi à moi, car j’ai tant désiré de retrouver la pauvre jeune dame qui les a laissés ici. Je l’aimais presque autant que lui, plus peut-être, jusqu’à ce moment où… où je vais le perdre. »

Léonard ne donna pas même un coup d’œil aux papiers ; ils ne pouvaient l’intéresser dans un pareil moment.

L’hôtesse continua : « Peut-être est-elle allée au ciel avant lui ; elle n’avait pas l’air de vouloir demeurer longtemps en ce monde. Elle nous quitta si subitement, qu’outre ces papiers nous avons encore ici