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qui attribuait tacitement aux sages conseils d’Audley la disparition mystérieuse de Nora.

Egerton repoussa d’abord la pensée de contracter une nouvelle obligation envers Harley, mais il brûlait de pouvoir s’acquitter au moins pécuniairement envers celui-ci ; le sentiment de sa dette l’humiliait plus que tout le reste. Avec des succès parlementaires, il obtiendrait probablement une position lucrative sur le continent, et il se déchargerait alors peu à peu du poids qui pesait sur son cœur et sur son honneur. Aucune autre voie de s’acquitter ne lui paraissait ouverte. Il accepta donc l’offre d’Harley et se rendit à Lansmere. Son frère, qui venait de se marier, fut invité à venir l’y rejoindre, et il trouva là aussi miss Leslie, la riche héritière dont lady Lansmere espérait voir Harley s’éprendre, mais qui depuis longtemps avait en secret donné son cœur à Egerton.

Pendant ce temps, l’infortunée Nora, trompée par les artifices de Lévy, suivant l’impulsion naturelle de son cœur si sensible à la bonté, fuyant un asile qu’elle regardait comme déshonorant, fuyant un amant dont le pouvoir sur elle était si grand, qu’elle tremblait qu’il ne lui fît accepter la honte elle-même, Nora n’avait qu’une pensée, c’était celle d’éviter pour toujours la présence d’Audley. Elle ne voulut point retourner chez ses parents, ni chez lady Jane ; on l’y eût trop facilement poursuivie. Une Italienne de haut rang, qui voyait souvent lady Jane, s’était prise d’affection pour Nora, et le mari de cette dame, obligé de retourner avant elle en Italie, l’avait engagée à prendre chez elle une compagne. L’Italienne avait parlé de ce projet à Nora et à lady Jane, qui avait conseillé à la jeune fille d’accepter cette offre et d’aller passer quelque temps sur le continent, afin d’échapper aux recherches d’Harley. Nora avait alors refusé, car déjà elle avait vu Audley Egerton. Elle alla trouver cette dame italienne ; l’offre lui fut renouvelée avec la plus touchante bonté, et dans son désespoir elle l’accepta avec empressement. Mais l’Italienne devait visiter plusieurs châteaux anglais avant de quitter définitivement l’Angleterre. Nora se réfugia en l’attendant dans un petit logement situé dans un faubourg éloigné de Londres, et qui lui avait été recommandé par une femme de chambre anglaise au service de la belle étrangère. C’est ainsi qu’elle était venue dans le cottage où mourut Burley. Peu de temps après elle quitta l’Angleterre avec sa nouvelle compagne, à l’insu de tout le monde, de lady Jane comme de ses parents.

Pendant tout ce temps, la malheureuse fille était en proie à une sorte de fièvre morale, et poursuivie, comme dans le délire, par des rêves auxquels elle s’efforçait en vain d’échapper.

Les plus savants physiologistes s’accordent à dire que la folie est plus rare chez les personnes douées d’une belle imagination que chez les natures vulgaires, mais néanmoins ces personnes sont plus que d’autres sujettes à un état d’esprit temporaire où le jugement sommeille et l’imagination règne tyranniquement. Une seule idée prévaut, chasse toutes les autres, se présente sans cesse sous un jour aveuglant, Nora était ainsi possédée d’une idée fixe : fuir la honte !