Aller au contenu

Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/320

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lesquelles il eût autrement reculé avec dégoût. Il appela son imagination au secours de sa raison. Il s’efforça de croire qu’Harley avait eu pour l’engager à se porter candidat quelque motif secret, autre que le désir d’opposer une contre-intrigue aux intrigues de Randal. Nora, dans son manuscrit, donnait clairement à entendre que son mari avait été d’une naissance et d’un rang supérieurs aux siens. Elle avait coloré du prisme de son imagination l’ambition et la future carrière de l’amant auquel elle avait sacrifié sa propre ambition et abandonné sa vie. Peut-être ce père serait-il d’autant mieux disposé à reconnaître et à accueillir son fils, que celui-ci aurait obtenu par un premier succès l’entrée de ce monde politique, dans lequel seule la réputation l’emporte sur le rang ? Peut-être aussi ce succès, en rendant un père fier de le nommer son fils, lui permettrait-il de proclamer le nom de sa mère ? Peut-être le mariage que Nora avait été amenée à croire frauduleux était-il légal, et n’avait-il été tenu secret que par orgueil, à cause de la disparité des rangs ? Et si le fils parvenait à marquer sa place là où le rang lui-même s’incline devant le talent, cet obstacle pouvait disparaître. Ces suppositions n’avaient rien d’invraisemblable ; elles s’accordaient d’ailleurs avec l’expérience qu’avait Léonard de la bonté et de la délicatesse d’Harley. Là encore, l’image d’Hélène se joignait à celle de ses parents pour stimuler son courage et sa nouvelle ambition. Elle était, il est vrai, à jamais perdue pour lui. Ni succès ni honneurs politiques ne pouvaient la lui rendre ; mais elle l’entendrait nommer avec respect dans les cercles brillants où elle allait se mouvoir loin de lui, cercles dans lesquels la réputation parlementaire est prisée bien plus haut que la célébrité littéraire.

Peut-être, dans bien des années, alors que l’amour, tout en ayant conservé sa tendresse, serait pur de toute passion, se rencontreraient-ils comme amis. Il pourrait sans angoisse prendre sur ses genoux les enfants d’Hélène, et lui dire un jour, lorsqu’il aurait conquis l’égalité sociale avec son noble époux : « C’est l’espoir de regagner les privilèges de mon enfance qui m’a donné la force de me distinguer, alors que dans ma jeunesse le bonheur m’avait été ravi. »

Ainsi envisagée, l’élection qui, avec ses bannières bariolées et ses trompettes discordantes, lui avait d’abord semblé un déploiement si misérable et si vulgaire de passions violentes à propos d’un but mesquin, lui apparut comme un objet de vif intérêt, et prit soudain à ses yeux de l’importance et de la dignité. Ainsi en est-il de toute lutte ici-bas. Selon qu’elle possède ou non ce quelque chose de divin qui accélère les battements du cœur et donne essor à l’imagination, elle apparaît au philosophe comme une comédie, ou au poète comme une inspiration. Si vous ressentez ce quelque chose, aucune lutte ne vous semblera mesquine ; si vous ne le sentez pas, vous pourrez comme Byron ranger à côté du massacre de Cannes, ce champ de bataille de Waterloo qui rétablit les limites des nations ; ou insulter avec Juvénal à la poussière d’Annibal, parce qu’il a voulu sauver Carthage, et délivrer le monde des fers de Rome.