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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/41

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faire (circonstance qui n’échappa pas aux observations des jeunes lords et confirma tous leurs soupçons), M. Avenel se dirigea lentement et d’un air sérieux vers le groupe. L’approche du grand général romain n’effraya pas jadis davantage les tourterelles de Coriole que celle du supposé X Y n’agita les cœurs de lord Spendquick et de ses compagnons. Tenant son carnet de l’air d’un homme qui sent que quelque chose de formidable se cache dans ses mystiques profondeurs, Avenel s’avançait vers la cheminée. Les jeunes gens demeuraient immobiles, fascinés par la terreur.

« Hum ! fit M. Avenel éclaircissant sa voix.

— Je n’aime pas du tout ce hum, murmura Spendquick.

— Je m’estime très-heureux d’avoir fait votre connaissance, messieurs, » dit Avenel en saluant.

Les jeunes gens s’inclinèrent profondément.

« Mon ami le baron était d’avis que la circonstance était mal choisie pour… Dick s’arrêta un moment ; on aurait pu d’un souffle jeter par terre ces quatre jeunes gens (bien qu’aucune aristocratie en Europe n’eût pu produire quatre plus beaux spécimens de l’humanité). Mais, reprit Avenel renonçant à finir sa première phrase, je me suis fait la règle de ne jamais laisser échapper une bonne occasion et de toujours mettre à profit le moment présent, et, ajouta-t-il avec un sourire qui glaça le sang de lord Spendquick dans ses veines, cette règle m’a fort bien réussi ; c’est pourquoi, messieurs, vous me permettrez de présenter à chacun de vous, ceci… » Chaque main se retirait derrière le dos de son noble propriétaire, lorsqu’à l’inexprimable satisfaction de tous, Dick expliqua qu’il s’agissait d’une petite soirée dansante, et leur tendit quatre cartes d’invitation.

« Trop heureux ! s’écria Spendquick ; je ne danse pas d’ordinaire, mais pour obliger X…, je veux dire pour faire plus ample connaissance avec vous, monsieur, je suis prêt à danser sur la corde roide. »

Un rire de bonne humeur accueillit l’enthousiasme de Spendquick ; on échangea des poignées de main, et chacun mit dans sa poche la carte d’invitation.

« Vous ne me faites pas l’effet d’un danseur, dit M. Avenel se tournant vers le bel esprit qui prenait du ventre et était quelque peu goutteux, ainsi qu’il arrive généralement aux beaux esprits qui dînent en ville cinq jours sur six ; vous ne me faites pas l’effet d’un danseur, mais il y aura un souper à deux heures. »

Le bel esprit, furieux, répliqua sèchement que toutes ses heures étaient prises pour le reste de la saison, et saluant légèrement le baron, il se retira. Les autres allèrent retrouver leurs tilburys respectifs, et Leslie se préparait à les suivre, lorsque Lévy, le prenant par le bras, lui dit : « Restez, je vous prie, j’ai à vous parler. »