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Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874 tome II.djvu/85

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— Dieu me pardonne, s’écria Guloseton d’un air de dépit, je vois venir le duc de Stilton, un odieux personnage : ne m’a-t-il pas dit l’autre jour, à mon petit dîner (je m’excusais auprès de lui de l’erreur commise par un de mes artistes qui s’était trompé de vinaigre et avait pris de l’ordinaire pour du Chili,) ne m’a-t-il pas dit… Au fait, que croyez-vous qu’il m’ait dit ? vous ne le devineriez pas. Il m’a dit, ma parole, qu’il ne s’inquiétait pas de ce qu’il mangeait, et qu’il pouvait faire un excellent dîner avec un beefsteak ! Pourquoi, diantre, alors, venir dîner avec moi ? Pouvait-il me dire rien de plus blessant ? Vous comprenez mon indignation quand je jetai les yeux sur ma table et que je vis tant de bonnes choses préparées pour un pareil idiot ! »

Ce dernier mot était à peine sorti de la bouche du noble gourmand que le haut personnage dont il s’agissait nous accosta. Je pris plaisir à voir le mépris de Guloseton ; il ne se donnait pas la peine de le dissimuler pour une personne que toute l’Europe honorait, et l’ennui qu’il éprouvait dans la compagnie d’un homme dont la société était recherchée, ambitionnée par chacun, comme le summum bonum de la distinction la plus honorable. Quant à moi, qui ne me sentais pas du tout de goût pour la société, je quittai bientôt ce couple mal assorti et je gagnai l’autre parc.

Au moment où j’y entrais, j’aperçus, monté sur un petit poney de mauvaise mine, M. Wormwood de désagréable mémoire. Quoique nous ne nous fussions pas vus depuis notre séjour commun chez sir Lionel Garrett, et que nous fussions alors dans les termes de la plus stricte et de la plus froide politesse, il vint au-devant de moi et m’adressa la parole.

« Mon cher monsieur, me dit-il avec un sourire affreux, je suis heureux de vous revoir ; mais mon Dieu comme vous êtes pâle. J’ai appris que vous aviez été bien malade. Avez-vous été consulter cet homme qui, dit-on, se fait fort de guérir la phthisie la plus avancée ?

— Oui, lui dis-je, il m’a lu deux ou trois lettres de remercîments de personnes qu’il a soignées. La dernière,